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Libres d'aimer ?

  • damienclergetgurna
  • 12 févr.
  • 13 min de lecture

« Enfants de l'âge futur / Lisant ces vers indignés / Apprenez que, fut un temps, / Amour, le doux amour, fut tenu pour un crime ». C'est par ces vers, écrits en 1825, que commence le poème « la petite fille perdue ». Quel est ce temps, dont parle William Blake, où « le doux amour fut tenu pour un crime » ? Et pourquoi présumer que, pour des « enfants de l'âge futur », l'amour sera si habituellement libre qu'il leur faudra apprendre que « fut un temps » où ce n'était pas le cas ? Sommes-nous ces enfants de l'âge futur, désormais libres d'aimer ? Et devons-nous, comme l'auteur de ces vers, nous en réjouir comme de la fin d'un immense abus ? A ces questions répondent comme en écho un autre poème de Baudelaire, intitulé « femmes damnées », composé à la même époque. Il y est question cette fois d'un amour lesbien entre deux jeunes femmes, Hippolyte et Delphine. Prise de remords après l'étreinte, la première ne peut s'empêcher d'avouer son trouble à sa compagne : « Avons-nous donc commis une action étranger ? Explique, si tu peux, mon trouble et mon effroi : je frissonne de peur quand tu me dis : « mon ange ! » Et cependant je sens ma boucher aller vers toi ». Et Delphine, alors, de répondre : « Maudit soit à jamais le rêveur inutile Qui voulut le premier, dans sa stupidité, S'éprenant d'un problème insoluble et stérile, Aux choses de l'amour mêler l'honnêteté ». Pour Baudelaire, parler en ces termes de l'homosexualité tenait de la provocation sulfureuse. Pour nous aujourd'hui, qu'y a-t-il de plus banal que de revendiquer pour deux femmes le droit de s'aimer librement ? Pourtant, de quoi s'agit-il exactement ? « Libres d'aimer », en quel sens ? Veut-on dire seulement la liberté de vivre sans contrainte notre orientation sexuelle ? En ce cas, le combat pour la liberté d'aimer prend la forme d'une défense de l'union libre, affirmation qui consiste à délivrer la sexualité de l'emprise exercée sur elle par l'institution de la famille. Que nous sommes « libres d'aimer » signifie alors concrètement que nous sommes libres d'avoir des relations hors mariage et dans une logique autre que celle de fonder ou d'entretenir un foyer. Mais la volonté d'être libres d'aimer peut signifier aussi tout autre chose : elle peut vouloir dire que nous sommes libres de faire notre vie avec qui nous voulons et parce que nous le voulons. N'est-ce pas la logique même du « mariage par amour », qui -depuis le 19e siècle- s'est petit à petit imposé à nous comme le seul modèle légitime d'union entre deux époux ? Alors, être « libre d'aimer » serait pour Hippolyte le droit de s'unir à Delphine et de fonder avec elle un foyer, et donc aussi d'avoir des enfants... ce qui est possible en France, depuis 2013. Ainsi sommes-nous pris entre deux positions contraires, qui revendiquent toutes deux la même « liberté d'aimer », mais en lui accordant un sens assez différent : dans un cas, la liberté d'aimer est entendue d'abord en faveur de la « liberté », au sens où il s'agit de pouvoir aimer qui on veut et comme on le veut, sans avoir de compte à rendre à quiconque. Libre d'aimer signifie en ce cas, tout aussi bien : libre de ne pas aimer, ou libre de ne plus aimer. Dans l'autre cas, la liberté d'aimer est entendue d'abord en faveur de « l'amour », au sens où il s'agit de laisser à l'amour des chances de triompher, en construisant une relation durable et officielle. Libre d'aimer signifie en ce cas  que la douce loi de l'amour, et non celle de la liberté individuelle, doit prévaloir. Vivre l'amour sur le modèle d'une « union libre » n'est pas du tout la même chose que de le vivre sur le modèle du « mariage par amour ». Lequel de ces deux modèles devons-nous privilégier ?


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Comprise en effet dans son intention première, la libération sexuelle visait moins à libérer l'amour qu'à nous libérer de l'amour. A-t-on vraiment besoin de s'aimer pour faire l'amour ? Faut-il nécessairement lier l'exclusivisme sexuel avec la relation amoureuse ? Qu'y a-t-il au juste de commun entre dire : « je te veux ? » et dire : « je t'aime ? ». S'il est vrai que l'amour pour une personne incite aussi à la désirer, l'inverse n'est pas systématiquement vrai. Ce n'est là qu'un constat banal, sur lequel s'est édifiée l'institution sociale des « maisons closes » au 19e siècle. Fréquenter les prostituées prêtait d'autant moins à conséquence pour un père de famille, qu'il n'y engageait que son désir, sans jamais céder à l'attrait d'une passion amoureuse. Libres d'aimer, de ce point de vue, les hommes l'ont toujours été. Ce sont les femmes, en revanche, dont le corps demeurait assujetti à une obligation de fidélité dont on pourrait estimer qu'elle a moins de rapport avec les prescriptions de l'amour qu'avec les exigences sociales de la filiation : une femme qui trompe son mari est une femme qui risque de donner naissance aux enfants d'un autre. Cette exigence de pudeur et de fidélité conjugale semble donc relever davantage de l'emprise d'une logique familiale que de celle de l'amour.


Qu'un amour authentique tolère très bien une dose de liberté sexuelle, c'est ce que la pratique de l'échangisme tend à établir assez bien. S'inspirant des travaux de la psychologue Helen Fisher, le philosophe canadien Ronald de Sousa va même jusqu'à proposer d'introduire une distinction supplémentaire entre la limérence et l'attachement. Pour Helen Fisher, en effet, l'attraction sexuelle (lust), la fixation sur un partenaire pour lequel on éprouve une intense passion (limérence) et l'attachement que l'on éprouve pour une personne avec qui l'on partage sa vie renvoient à trois mécanismes évolutifs distincts et entremêlés. Chacun de ces mécanismes répond à une nécessité évolutive distincte, et chacun est lié naturellement à un processus hormonal particulier. Ronald de Sousa, dans Love, a very short introduction, tire de ces travaux un vibrant plaidoyer en faveur du polyamour. A ces yeux, ce n'est pas seulement la liberté sexuelle (l'échangisme) qui serait compatible avec l'entente amoureuse d'un couple, mais aussi ce que Sartre et Beauvoir appelaient déjà leurs « amours contingentes », ces passions brèves et intenses qu'ils éprouvaient pour d'autres partenaires de rencontre. La relation amoureuse la plus durable n'a pas besoin, pour exister, d'interdire ni que chacun aille voir ailleurs s'il en a le désir, ni même qu'il vive des passions intenses et éphémères pour d'autres personnes


Clairement, « l'amour libre » vise moins à rendre l'amour libre qu'à étendre le champ des relations où nous sommes au contraire libres de ne pas vraiment aimer. Plus précisément, il s'agit surtout d'étendre aux femmes une liberté dont les hommes n'ont jamais cessé de bénéficier. Car ces derniers n'ont pas été obligés d'attendre la « révolution sexuelle » pour se voir reconnaître enfin le droit à une sexualité hors mariage ou à des passions extraconjugales. La prostituée et la maîtresse forment avec l'épouse légitime une configuration assez classique du triangle amoureux masculin. Désassujettir le corps et le cœur des femmes pour qu'elles puissent elles aussi prétendre à la même liberté paraît une simple mesure de justice. Mais l'on ne peut pas dire qu'une telle évolution nous rende en aucune manière plus « libres d'aimer ». Elle nous rend au contraire libres de faire l'amour avec un partenaire d'un soir, sans y mettre autre chose que les règles d'une saine camaraderie. Et elle nous rend également libres, si nous suivons le plébiscite de Ronald de Sousa, d'aimer plusieurs personnes à la fois, à la condition de savoir distinguer un attachement durable et une passion nécessairement éphémère qui, parce qu'elle est éphémère, ne prête pas à conséquence.


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Avec le recul, nous pourrions cependant considérer que ce modèle de l'amour libre n'a pas produit tous les bénéfices qu'on en pouvait escompter. Et pour cause : loin de libérer le « doux amour », il aurait plutôt eu pour effet de donner carrière à un désir dont la brutalité et la sauvagerie n'était plus désormais contenu par les « doux » liens de l'amour. Si la relation sexuelle ne prête pas à conséquence et qu'il n'est plus nécessaire (ni forcément recommandable) d'aimer quelqu'un pour coucher avec lui, alors « faire l'amour » devient potentiellement autre chose, que la vulgarité nomme à sa façon. Il n'est pas certain que la liberté des femmes ait gagné quoi que ce soit à cet alignement sur la liberté masculine. Car si l'homme n'a pas grand chose à craindre d'un désir à ce point affranchi de toute bienveillance amoureuse, il n'en va pas du tout de même des femmes. Libres de vivre, comme les hommes, une sexualité sans entrave, elles sont aussi plus souvent exposées à devenir les victimes de la prédation sexuelle masculine.


Si la clause amoureuse ne régule plus nos relations sexuelles, qu'est-ce donc alors qui tiendra lieu désormais de garde fou dans une relation où l'un des partenaires domine physiquement l'autre ? Dans une société égalitaire, la relation sexuelle présente en effet quelque chose d'archaïque : centrée sur les corps, elle s'expose toujours potentiellement à la violence que permet l'inégalité physique entre deux partenaires. La notion même de « consentement » qui, dans une société démocratique, devrait servir de protection contre tout phénomène d'emprise, s'avère relativement inefficace. Et pour cause : la logique même de la relation hétérosexuelle impose que le consentement ne prenne pas tout à fait la même forme selon que l'on propose ou selon que l'on dispose. Un consentement tacite, par lequel une femme cède aux avances pressantes d'un partenaire masculin, peut-il vraiment être considéré comme un consentement aussi libre que si elle avait pris l'initiative ? Céder à la pression, est-ce vraiment une décision que nous pourrions qualifier de décision « libre » ? Et en même temps, cette asymétrie dans le consentement ne fait-elle pas partie du jeu de la séduction  amoureuse?


La solution qui consiste, pour mettre fin à cette absence de liberté dans le « consentement » féminin, à contractualiser la relation sous une forme strictement égalitaire, risque de mettre un terme tragique à la liberté sexuelle. Car alors, c'est tout le jeu subtil de la séduction, avec ses audaces et ses défenses, ses positions gagnées et ses « conquêtes », ses victoires et ses défaites, à quoi il nous faudra renoncer. Distinguer entre une volonté de séduire l'autre et une volonté de le soumettre à notre désir n'a, du point de vue conceptuel, pas vraiment de sens. Il semble bien plus probant de distinguer, comme on le fait classiquement, entre le séducteur manipulateur (qui veut seulement coucher) et l'amant sincère (qui veut « faire l'amour »). Dans un cas comme dans l'autre, la relation sexuelle conserve la même structure inégalitaire. La femme est toujours en position de vulnérabilité ; mais elle risque moins dans les bras d'un homme qui l'aime que dans ceux d'un séducteur.


En proscrivant tout ce qui, dans la séduction amoureuse, relève d'un rapport de force implicite et d'un affrontement entre deux personnes dont l'une fuit et l'autre poursuit, la juridicisation des relations sexuelles ne peut que conduire à rendre finalement impossible (car trop dangereuse désormais), toute espèce de galanterie. En ce cas, la relation sexuelle est vouée à prendre l'aspect d'un contrat explicite entre deux partenaires qui définissent à l'avance ce qu'il leur est permis de faire et à quelles conditions.... à la façon du contrat amoureux que signent les deux protagonistes du roman à succès de E.L James, Cinquante nuances de Grey. Les relations sexuelles dont il est question dans ce roman exigent d'autant plus cette contractualisation qu'elles libèrent le fantasme intrinsèquement inégalitaire de la relation dominant/dominé. Autrement dit, une relation sado-masochiste. Tout l'enjeu et l'intérêt du roman, ce qui explique en grande partie l'écho populaire qu'il a reçu, est de proposer une solution parfaitement égalitaire à cet écueil d'un fantasme sexuel on ne peut moins égalitaire. Une telle solution est-elle satisfaisante ? Cette contractualisation de la relation sexuelle, bien qu'elle soit dans la logique égalitaire, ne nous fait-elle pas perdre le bénéfice même du désir ?


Car ressentir l'aiguillon du désir, n'est-ce pas en même temps éprouver une diminution de notre liberté ? Celui ou celle qui désire, peut-il continuer à traiter l'objet de son désir comme un partenaire avec qui il convient de clarifier les termes d'un contrat, comme s'il s'agissait simplement de négocier un service à la personne ? Si nous ne sommes pas libres en désirant, comment peut-on réellement prétendre transformer notre désir en un espace de tractation entre deux partenaires libres et lucides ? Bien plus cohérente est la position adoptée par certaines féministes qui, à l'image d'Alice Coffin (dans le Génie lesbien), considèrent que seule la relation lesbienne offre les conditions d'un accord réellement égalitaire, donc recommandable. Le fantasme hétérosexuel est en effet travaillé par une polarité essentielle qui provoque une intériorisation de la soumission féminine, d'autant plus perverse qu'elle prend l'allure d'un fantasme désirable auquel il est particulièrement difficile de résister. Pour ne pas sacrifier son désir sexuel sur l'autel de sa liberté revendiquée, la féministe doit donc prendre le parti du lesbianisme. Par son aspect outrancier, une telle conséquence plaide pour une autre solution...


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Le lesbianisme n'est pas seulement une orientation sexuelle. Dans le combat pour la reconnaissance des homosexuels, la dépénalisation de l'orientation sexuelle ne représentait qu'une première étape. Un pas décisif a été franchi quand deux homosexuels se sont vus reconnaître le droit non plus seulement de se désirer, mais aussi de s'unir. L'ouverture du mariage à des minorités sexuelles longtemps tenues à l'écart vaut donc comme une reconnaissance officielle de leur droit à s'aimer. Libres d'aimer, ils le sont donc dans la mesure même où plus rien ne les empêche désormais de s'unir et de fonder ensemble une famille, s'ils le souhaitent. Cette évolution est inévitable, car elle était logiquement contenue dans la définition du mariage qui prévaut en occident depuis deux siècles : la norme veut en effet que l'on se marie désormais par inclination, et non par obligation sociale ni par obéissance à une quelconque autorité extérieure. Le mariage d'amour a donc eu pour effet de faire du mariage la consécration d'une relation amoureuse qui unit deux individus libres et égaux, plutôt qu'un espace social consacré à la reproduction et à l'éducation des enfants. Exactement comme la société civile dépend d'un contrat préalable entre individus libres et égaux, de la même façon la famille moderne tend à unir deux personnes qui ne sont unies que parce qu'elles le veulent et autant qu'elles le veulent. Comme le note Victor Hugo dans Choses vues, liberté d'aimer et liberté d'opinion sont deux expressions solidaires de la même liberté de conscience. Au point que le combat pour la liberté d'aimer est indissociable du combat politique en faveur de la liberté des citoyens : « L'une [la liberté d'aimer] répond au cœur, l'autre à l'esprit : ce sont deux faces de la liberté de conscience. Quel Dieu je crois, quelle femme j'aime, nul n'a le droit de s'en informer, la loi moins que personne  (…) Vous aimez un homme autre que votre mari ? Eh bien allez à lui. Celui que vous n'aimez pas, vous êtes sa prostituée ; celui que vous aimez, vous êtes sa femme. Dans l'union des sexes, le cœur est la loi. Aimez et pensez librement, le reste regarde Dieu »


Grâce au mariage d'amour, la relation des deux époux devient le nouveau centre de la vie familiale. Les enfants qui résultent de tels mariages voient aussi leur statut modifié, mais d'une façon assez équivoque : d'un côté, ils ne sont plus la raison d'être du mariage, et leur droit à vivre dans un foyer stable dépend logiquement de la question de savoir si papa et maman s'aiment encore suffisamment pour avoir envie de protéger ce foyer. Mais d'un autre côté, leur statut change aussi en ce qu'ils représentent pour leurs parents le fruit (espéré ou inespéré) d'une relation amoureuse, et non plus une simple donnée économique (dont la présence peut être une gêne ou au contraire une source de prospérité matérielle). Enfants de l'amour, ils tendent naturellement à être investis d'une nouvelle valeur affective, sans commune mesure avec leur rôle biologique ou économique au sein de l'unité familiale. L'amour est devenu le nouveau ciment de la famille, à tel point qu'il n'est pas interdit , comme le suggère Luc Ferry dans la Révolution de l'amour, de parler à ce propos d'une nouvelle source du sacré. Pour les individus modernes, libres de s'aimer, seul l'amour en effet fait loi, et seul lui légitime désormais les sacrifices que nous sommes disposés à consentir, non plus pour Dieu, ni pour la patrie, ni pour la justice... mais pour nos proches. Si Rodrigue avait aujourd'hui à laver l'offense faite à son père, il le ferait pas « amour » filial et non plus par sentiment du devoir familial.


Faire une chose par amour, c'est disposer d'une justification suffisante pour la faire. Dire : « je le fais parce que je t'aime », c'est donner une raison suffisante. Il se peut parfaitement que nous aimions pour des raisons discutables ou même moralement contestables. Il se peut que notre amour n'ait pas d'autres raison que les curieuses circonstances biographiques qui amenèrent Descartes à s'éprendre des femmes qui louchent. Peu importe. Il n'empêche que l'amour, du moment qu'il est là, du moment que nous aimons, est bon parce qu'il nous pousse spontanément à limiter notre voracité et notre égoïsme naturel afin de protéger le bien de ce (ou ceux) que nous aimons. Celui qui aime le vin respecte le vin : il sait le goûter, l'apprécier, en prendre soin. C'est ce qui distingue d'ailleurs l'amateur de vin de l'alcoolique, pour qui seule existe la nécessité d'étancher son insatiable soif.


C'est uniquement le fait que nous les aimons qui donne de la valeur à certaines choses ; ce n'est pas le fait qu'elles aient une valeur objective qui nous amènerait à les aimer. Dans une société pluraliste, dans laquelle nous renonçons à imposer dogmatiquement des valeurs objectives, seul l'amour peut encore donner de la valeur aux choses et du sens à nos actions. Parce qu'il est un état subjectif, l'amour préserve la pluralité et la singularité de chacun : nous ne sommes pas obligés d'aimer les mêmes choses... mais ce qui compte est que, du moment que nous aimons quelqu'un, nous prenons soin de lui. De la même façon, le fait de céder à notre amour n'est pas vécu comme une atteinte insupportable à notre liberté : faire ce que nous aimons, n'est-ce pas faire ce que nous voulons ? Au contraire, l'obéissance à une loi morale, quelle qu'elle soit, demeure une contrainte pour celui qui s'y plie. La république kantienne stipulait que chaque citoyen devait faire son devoir par respect pour la loi, sans écouter les inclinations de son cœur. La république de l'amour voulue par Rousseau attendait que chacun fasse son devoir par amour, librement et sans contrainte. Ce qui est une façon d'accorder sa pleine et entière validité à la morale évangélique : « Aime et fais ce que tu veux », prescrivait Saint Augustin. Le pédophile n'est donc pas coupable d'aimer les enfants, il est coupable de ne pas les aimer et de dissimuler derrière ce discours lénifiant une violence sexuelle manifeste et profondément égoïste.


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L'amour est sans doute l'incitation la plus libérale qui soit, celle qui respecte le mieux la liberté des individus, mais sans les dispenser pour autant d'avoir à prendre en considération le bien des autres. Il ne rompt pas la sphère de l'égoïsme mais il permet de l'élargir à d'autres que soi, femme, enfants, amis...et de retrouver le sens d'une solidarité dans un monde régi par l'intérêt particulier. Ainsi aimer apparaît il à la fois comme une manifestation de notre liberté et comme une manière de conjurer le risque de solitude à quoi conduit inévitablement cette liberté. Comme le mariage, auquel il mène, l'amour crée entre les individus un lien parfaitement libre : ceux qui s'aiment sont liés les uns aux autres, mais ils ne le sont que par inclination et non par contrainte. Ils faut les laisser libres de s'aimer, parce que toujours ils demeurent libres en s'aimant. Du moins en théorie...Rien n'est bon que l'amour ; rien n'est mauvais que la haine, sous les différentes déclinaisons qu'elle est susceptible de recevoir. Sans doute est-ce cela qui explique pourquoi le combat politique tend de moins en moins à devenir un combat pour la Justice et de plus en plus un combat pour l'Amour. Tout ce qui est dénoncé ne l'est aujourd'hui que par une faute commise envers le devoir d'aimer : « haine » le racisme, « haine » l'antisémitisme, « haine » la xénophobie, « haine » le nationalisme, « haine » et ressentiment qu'il faut apprendre à repérer et extirper de nos cœurs. Ce n'est plus une affaire de raison, mais une affaire de sentiment et de disposition à aimer.



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