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Nietzsche et la question du désir

  • damienclergetgurna
  • 12 févr.
  • 35 min de lecture

I) La force du désir


Malgré leurs nombreuses différences, la plupart des théories classiques partagent au sujet du désir la même position : le désir est une force avec laquelle il faut compter. Et comme cette force n'est pas par elle-même rationnelle (puisqu'elle appartient à la partie irrationnelle de notre âme : « la faculté appétitive »), elle est toujours susceptible de nous égarer sur de mauvais sentiers. Appartenant à la sphère des passions humaines, le désir est potentiellement une menace pour notre liberté et une menace aussi pour notre lucidité : « La passion, c'est ce qui, en nous modifiant, produit des différences dans nos jugements et qui est suivi de peine et de plaisir. Telles sont, par exemple, la colère, la pitié, la crainte et toutes les autres impressions analogues ainsi que leurs contraires » (Aristote, Rhétorique II). Voilà pourquoi, spontanément, nous ne nous occupons que des dangers que fait planer potentiellement sur nos existences la présence du désir. Danger de l'excès, de l'intempérance qui nuit à la maîtrise de soi (chez Platon et Aristote) ; danger du trouble qui nuit à la tranquillité de l'âme (chez les épicuriens et les stoïciens), danger du péché qui nuit au salut (chez Augustin). En somme, le désir représente pour nous un réel danger de perdition.


Mais cette grande inquiétude face au désir ne doit pourtant pas faire oublier ce qui, pour tous ces auteurs, est également une évidence : le désir est une force précieuse et indispensable. Sans lui, rien ne peut être réellement accompli. Aristote le rappelle mieux qu'aucun autre : la raison par elle-même, est impuissante à nous mouvoir. La représentation seule ne suffit pas. Sans envie, sans désir, rien ne se passe en nous. On peut rendre le désir raisonnable (et alors, cela s'appelle « Volonté »), on peut l'orienter, le guider mais on ne peut jamais s'en passer. Sans désir, il n'y aurait pas de quête du bonheur, ni même de quête d'ataraxie. Sans désir, il n'y aurait pas non plus de quête de sagesse, puisque cette quête dépend d'Eros. Que serait la charité chrétienne sans le désir de s'unir à Dieu ? « Aime et fais ce que tu veux ! » [dilige et quod vis fac !] Si tu te tais, tu te tais par amour ; si tu cries, tu cries par amour ; si tu corriges, tu corriges par amour ; si tu épargnes, tu épargnes par amour. Qu’au dedans se trouve la racine de la charité. » (note 1)... Partout le désir est présent, comme cette é-motion qui nous meut. Être mu, ému, et se mouvoir, c'est un seul et même mouvement qui définit le désir : « moteur mû ». A trop insister sur le pouvoir de nuisance du désir, nous risquerions de laisser ce qui le rend indispensable.


Parce qu'il est intimement lié au corps, le désir est ce qui seul peut mouvoir notre corps. A ce titre, la faculté appétitive est bien ce qui est commun aux hommes et aux animaux. Elle est la marque de notre appartenance au monde animal, l'indice de notre condition charnelle. Nous sommes en effet des animaux, au même titre que les autres êtres vivants ; mais nous ne sommes pas des animaux comme les autres. Parce que nous sommes bel et bien des animaux, il n'y a pas d'autre manière pour nous de nous mouvoir que par l'impulsion du désir. Mais parce que nous ne sommes pas des animaux comme les autres, nos appétits sont beaucoup plus vastes. Bien plus vastes que le cercle étroit des besoins physiologiques. Tant le désir est susceptible de se fixer sur des objets divers ! Désir de manger et de boire, certes, mais aussi désir de gloire. Désir de copuler, sans aucun doute, mais aussi désir de fonder un foyer et de trouver l'amour. Même chez les épicuriens, la définition de ce qui compte pour un « plaisir naturel et nécessaire » ne se limite pas à ce qui est strictement nécessaire à la survie. Car survivre, pour un homme, n'est pas suffisant. C'est simplement vivre une vie de chien, ce qui n'est pas encore une vie d'homme. De quoi un homme a-t-il encore besoin ? De l'absence de souffrance physique (aponie) et de l'absence d'inquiétude (ataraxie). Même réduit à son minimum, rendu aussi étroit que possible (excluons le désir de gloire ! Excluons, surtout, Eros et ses mensonges!), le désir frugal du sage épicurien ne cesse pas d'être un désir proprement humain.


Disons, pour simplifier les choses : dans ce qu'il vise, le désir est humain (car dépendant d'une représentation, il est naturellement enflé par les vastes perspectives que lui ouvre le logos) ; dans ce qu'il est -force motrice- le désir est purement animal. En tant qu'il est intentionnel, il participe pleinement de la richesse de notre vie psychique ; en tant qu'il est tension, il participe pleinement de la santé du corps vivant. Parce que nous ne distinguons pas suffisamment ces deux aspects, nous avons tendance à confondre la force du désir avec l'objet du désir : nous mélangeons le fait d'avoir le désir de beaucoup de choses avec le fait d'avoir beaucoup de désir. Mais l'intensité du désir n'a rien à voir avec la quantité de ce que nous désirons. L'homme démocratique, observait Platon, a beaucoup de désirs. Mais aucun d'entre eux n'est très puissant. Une chose est donc de condamner l'intempérance (cet excès dans les objets que nous désirons : trop de nourriture, trop de ceci, trop de cela...) ; autre chose est de condamner la faiblesse du désir (le manque de résolution que nous mettons dans nos désirs). La vertu d'un bon désir, indépendamment du fait qu'il se porte sur un bon objet et pas sur n'importe quoi, ne réside-t-elle pas dans sa capacité à aller jusqu'au bout de ce qu'il peut ?


Le problème, ici, se déplace. Ce n'est plus : « que dois-je désirer ? », mais : « comment tenir dans mon désir ? Comment continuer à désirer, devant les obstacles et les découragements ? ». Problème de la constance du désir plutôt que de son intempérance : « Ce qui est essentiel « au ciel comme sur terre » semble-t-il, c'est (...) que l'on obéisse longuement et dans une seule et même direction : cela finit toujours et a toujours fini par produire à la longue quelque chose qui fait que la vie sur terre mérite d'être vécue, par exemple vertu art, musique, danse, raison, spiritualité -quelque chose de transfigurant, de raffiné, de fou et de divin. (note 2)». On voit d'ailleurs comment les deux problèmes sont liés : l'intempérance du désir est le signe manifeste de son inconstance, de son incapacité à désirer longtemps le même objet. Cette illimitation du désir est aussi la marque de sa faiblesse constitutive, de ce qu'il n'est jamais plein et entier. Cas exemplaire de la procrastination : l'incapacité à désirer vraiment produit une multiplication de désirs faibles qui ne motivent qu'à de petites actions, ou à des projets qui se suivent rapidement parce qu'aucun d'entre eux ne va jamais jusqu'au bout. Des vélléités, donc, plutôt que d'authentiques désirs. Nous sommes tentés de faire beaucoup, parce que nous ne menons jamais rien jusqu'à son terme. Par manque de force, par défaut d'énergie, par lassitude. C'est à cause de cette façon qu'a le désir de lâcher si facilement sa proie devant le moindre obstacle venu que Platon et Aristote se croient obligés de faire intervenir dans la faculté appétitive, à côté du concupiscible (la recherche du plaisir physique), le rôle essentiel de l'irrascible (la colère contre l'obstacle). On peut alors comprendre le thumos soit comme la source d'un désir particulier (désir de gloire), soit comme le principe de vitalité de tout désir.


De quoi le désir a-t-il besoin pour tenir, pour ne pas se dégonfler comme un caprice invétéré succédant à d'autres caprices ? De cette force de caractère, de cette ardeur devant la difficulté à vaincre, qui est aussi prédisposition à la colère. On sait que les stoïciens (en particulier Sénèque), ne voyaient pas d'un très bon œil cet éloge de la colère. Et pour cause : cette dispositon irrascible, loin d'être attentive à la raison, était précisément pour eux ce qui rendait sourd à tout discours rationnel. L'homme en colère s'emporte, il devient un furieux incontrôlable. Pour autant, Sénèque ne s'en demande pas moins lui aussi comment affermir la résolution de notre volonté (ce bon désir raisonnable), contre l'irrésolution chronique et la dérive de notre désir. Et sa réponse est la suivante : puisque tout désir suppose une représentation, c'est en travaillant sur nos représentations, par une véritable ascèse de la raison, que nous parviendrons à fixer notre désir : « Il faut connaître la cible, quand on veut lancer une flèche ; ensuite on pourra de la main diriger et régler le trait. Nos conseils vont à l'aventure, car ils n'ont pas de ligne directrice ; pour qui ignore à quel port se rendre, aucun vent n'est propice. Inévitablement, le hasard a beaucoup de prise dans notre vie parce que nous vivons au hasard » (Sénèque, lettre à Lucilius, 71). Concrètement, qu'est-ce que cela signifie ? Que l'irrésolution de notre désir est la conséquence d'une irrésolution de notre pensée. Et si notre pensée est irrésolue, c'est parce que trop attachée à la connaissance et pas assez à l'action, elle se fait une vertu du doute. D'un point de vue théorique, douter est le commencement de la sagesse. D'un point de vue pratique, douter c'est être incapable d'agir. Il faudra donc transformer la théorie stoïcienne en un dogme. Un dogme, ça s'approfondit longuement, ça se médite patiemment, mais ça se reçoit d'abord comme une vérité dogmatique.



II) La sagesse de Calliclès


Pourtant, celui qui a le mieux compris le désir sous ce jeu de la puissance et de l'impuissance, ce n'est ni Platon ni Sénèque... mais Calliclès. Platon oppose ce personnage haut en couleur (il a tout le caractère de l'âme irascible) à Socrate, dans un passage du Gorgias. Calliclès intervient (on devrait plutôt dire qu'il rue dans les brancards) dans le dialogue au moment où Socrate a réussi à convaincre ses premiers interlocuteurs (Gorgias, puis Pôlos) que commettre l'injustice est le mal suprême. La thèse de Socrate est évidemment dirigée contre le sens commun, qui pense que le mal suprême est plutôt de subir l'injustice que de la commettre. Si quelqu'un a à se plaindre de l'injustice, ce serait semble-t-il, plutôt la victime que le bourreau. Mais tout entier dévoué à la tache de montrer que Bonheur = Vertu, Socrate est obligé d'établir que l'homme injuste est le plus malheureux des hommes. C'est la même thèse qu'il cherche à établir dans la République, où il se trouvera aussi aux prises avec un personnage qui soutient à peu près la même position que Calliclès : Thrasymaque.


Or, qu'est-ce que Calliclès oppose au discours de Socrate, si ce n'est un simple rappel de bon sens ? les règles de justices, observe-t-il, ont été instituées au profit des plus faibles plutôt qu'au profit des plus forts. C'est pour protéger ceux qui subissaient les désirs prédateurs qu'ont été mises en place des barrières de protection. Autrement dit, la justice est toujours à l'avantage du plus faible : « Le malheur est que ce sont, je crois, les faibles et le grand nombre auxquels est due l'institution des lois. Aussi instituent-ils ces lois par rapport à eux-mêmes et à leur avantage, louant ce qu'ils louent et blâmant ce qu'ils blâment. Ceux de leurs semblables qui sont plus forts ou capables d'avoir le dessus, ils arrivent à les épouvanter, afin de les empêcher d'avoir ce dessus, et ils disent que c'est laid et injuste de l'emporter sur autrui, que c'est cela qui constitue l'injustice, de chercher à avoir plus que les autres ; car, comme ils sont inférieurs, il leur suffit, je pense, d'avoir l'égalité ! Voilà donc pour quelles raisons ce qui est dit injuste et laid, c'est de chercher à avoir le dessus sur la majorité, pour quelles raisons on appelle cela : commettre l'injustice ». La justice comme norme d'égalité est donc une façon « d'épouvanter » l'homme fort en lui présentant sa propre force comme un vice insupportable.


Or, qui est l'homme fort sinon celui qui a « le plus de virile énergie » ? Sommé par Socrate de définir l'homme fort, Calliclès finit par lui donner cette définition : l'homme fort, ce n'est pas le plus fort physiquement (le plus robuste), ni le plus fort intellectuellement... c'est celui qui est le plus fort mentalement, celui qui a le plus de « virile énergie ». Qu'est-ce à dire, sinon que ce qui fait que l'homme fort est plus fort que les autres, c'est sa ténacité, la puissance et l'ardeur de son désir ? Lui seul est capable de vaincre l'obstacle et de se hisser plus haut que les autres, car lui seul a suffisamment de vitalité en lui pour accomplir des prodiges (note 3). C'est cette vitalité intérieure qui le rend plus fort que les autres ; et c'est elle aussi qui lui donne un droit parfaitement légitime à s'imposer aux autres : « ce qui selon la nature est beau et juste, c'est ce que j'ai la franchise de te dire à présent : que celui qui veut vivre droitement sa vie, doit, d'une part, laisser les passions qui sont les siennes être les plus grandes possibles, et ne point les mutiler ; être capable, d'autre part, de mettre au service de ces passions, qui sont aussi grandes que possible, les forces de son énergie et de son intelligence ; bref, donner à chaque désir qui pourra lui venir la plénitude des satisfactions. Mais c'est, je pense, ce qui n'est pas possible à la plupart des hommes. Voilà pourquoi ils blâment les gens de cette trempe ; la honte les pousse à dissimuler leur propre impuissance. Ils disent donc de la licence, que c'est une vilaine chose, réduisant en esclavage, tout ainsi que je le disais précédémment, les hommes qui selon la nature valent davantage et, impuissants eux-mêmes à procurer à leurs plaisirs un plein assouvissement, ils vantent la sage modération et la justice : effet de leur manque de virilité ! » (note 4)


Aux yeux de Calliclès, par conséquent, la vertu d'un homme c'est sa force, et la force c'est la puissance de son désir. Plus aucune clause ne concerne l'objet du désir, la question de savoir si ce désir est vertueusement orienté ou pas. La puissance du désir devient pour Calliclès l'unique critère de la valeur du désir. Car ce qui compte est moins ce vers quoi tend le désir que ce qu'il manifeste : la vitalité du sujet désirant, sa puissance vitale, sa « virile énergie ». Ou pour le dire autrement, en usant du vocabulaire aristotélicien : la cause finale du désir compte pour rien auprès de sa cause efficiente. Peu importe ce qu'on désire ; le seul critère pertinent est de savoir quelle énergie est investie dans le désir : « être capable de mettre au service de passions aussi grandes que possible, la force de son énergie et de son intelligence ».


La réponse que fait Socrate à Calliclès est très intéressante, car elle fait intervenir la théorie platonicienne du désir comme « manque » :« S : Avoir faim, qu'en dirais-tu ? Que c'est agréable, ou bien pénible ? Je veux parler de la faim en tant seulement que faim.- C : A mon avis elle est pénible ; mais, à la vérité, manger quand on a faim est agréable. -S : Je comprends. Quoi qu'il en soit, du moins le fait d'avoir faim, tout seul, est pénible ; ne l'est-il pas ? -C : C'est ce que je dis ?. -S : Et aussi le fait d'avoir soif ? -C : Oui, tout à fait. S : Te poserai-je cependant encore d'autres questions ? Ou bien accordes-tu que, sans exception tout manque, tout désir, est pénible ? C : Je l'accorde, dispense-toi de poser d'autres questions. » La ligne de défense déployée par Socrate consiste à affirmer que seule la fin du désir (son accomplissement) peut être quelque chose de positif. C'est donc la finalité du désir qui en fait la valeur : quand on faim, le fait d'être repu ; quand on a soif, le fait d'être désaltéré... et ainsi de suite. Par contre, le désir en lui-même n'a pas de grande valeur, puisqu'il est l'expression d'un manque (la faim, la soif), qui est un état négatif, la marque d'une faiblesse constitutive plutôt que d'une vitalité. Il est vrai que, chez Platon, le désir n'est pas entièrement un manque, puisqu'il est aussi une façon de combler le manque. Etat intermédiaire, le désir est à mi-chemin du vide et du plein, fils de Pénia et de Poros. Telle est sa nature « démonique ». Mais en tant qu'il participe de la nature de Pénia, le désir n'en est pas moins la marque en nous d'une indigence, d'une pauvreté.


Or, Calliclès -à l'évidence -refuse d'associer le désir à cette indigence. Quand Socrate lui parle de la faim, il répond : certes, la faim est pénible ; « mais, à la vérité, manger quand on a faim est agréable » ! La faim n'est pas pour lui le désir ; le désir est plutôt une réaction contre la faim : celle de l'appétit. La faim, c'est l'état de besoin, l'être en défaut (to deon), quand il nous manque quelque chose. Le désir, par contre, c'est la tension vers la nourriture, l'ardeur vitale qui nous pousse à manger. Le manque n'a donc rien à voir avec le désir. Trop de manque au contraire, n'augmente pas le désir, mais rend plutôt incapable de désirer. Celui qui manque de tout, celui qui souffre trop n'a plus même la force de désirer. Il est aboulique, trop déprimé pour désirer encore quoi que ce soit. La vitalité se mesure au contraire à notre capacité à désirer. Et la satisfaction du désir, par conséquent, ne saurait être cet état où -le manque étant comblé -le désir est voué à disparaître. Car un être sans désir n'est pas un être qui est parvenu à son but, mais un être qui a tout bonnement cessé d'exister. Un mort, une pierre : « Pour celui en effet qui a fait son plein, il n'y a plus aucun plaisir. C'est tout au contraire ce que j'appelais tout à l'heure vivre comme une pierre, ne connaissant désormais, une fois qu'il aurait rempli ses tonneaux, ni joie, ni peine. Ce en quoi réside au contraire l'agrément de la vie, c'est l'afflux le plus abondant possible ! ». L'afflux le plus abondant possible, c'est-à-dire l'inlassable désir, manifestation d'une plénitude de vie.


III) La valeur de nos valeurs


La théorie de Calliclès sur l'origine de la justice et la glorification des hommes forts est reprise presque mot à mot par Nietzsche dans la Généalogie de la morale. En soi, au départ, il s'agit moins de poser un jugement de valeur que d'observer un phénomène historique : toutes les sociétés humaines se sont d'abord constituées sur le culte de la force, de la virilité guerrière et dominatrice. La première morale est une morale de caste. C'est ce qu'indique très clairement l'origine étymologique des notions de « bon » et de « mauvais » : « Quel est exactement, au point de vue étymologiqe, le sens des désignations du mot « bon » dans les diverses langues ? C'est alors que je découvris qu'elles dérivent toutes d'une même transformation d'idées, -que partout l'idée de « distinction » de « noblesse », au sens du rang social, est l'idée mère d'où naît et se développe nécessairement l'idée de « bon » au sens « distingué quant à l'âme », et celle de « noble », au sens de « ayant une âme d'essence supérieure », « privilégié quant à l'âme ». Et ce développement est toujours parallèle à celui qui finit par transformer les notions de « vulgaire », « plébéien », « bas » en celle de « mauvais » ».


En rappelant cette première origine, Nietzsche ne fait que poser un constat de fait. Il ne prétend nullement se montrer nostalgique de cette période où les hommes se comportaient comme des « fauves déchaînés » et où la force n'était exclusivement mesurée que par la capacité à répandre le sang : «Toutes les passions ont un temps où elles ne sont que funestes, où, de tout le poids de la bêtise, elles tirent leur victime vers le bas, et un autre, plus tardif, beaucoup plus tardif, où elles se marient avec l'esprit, se « spiritualisent » ». Inévitablement, le culte de la force a d'abord pris historiquement l'allure d'un culte de la force brute, animale, « bestiale ». D'où sa « bêtise ». Mais ce n'est pas dire pour autant que la force, la vitalité d'un homme soit nécessairement condamnée à demeurer indéfiniment à ce stade  : « Faudra-t-il n'avoir jamais que l'égoïsme du brigand ou du voleur ? Pourquoi pas celui du jardinier ? Plaisir de donner des soins à autrui, comme on donne des soins à un jardin ! (note 5)» Rien de tel, donc, chez Nietzsche, qu'une nostalgie sanguinaire de la brute épaisse...


Mais il serait toutefois illusoire de supposer que la « spiritualisation » de la force signifie la fin de l'inimité, sous toutes ses formes, la fin de la domination et de la violence6. « Spiritualisée », la force est supposée gagner en force, et non pas diminuer ! Si ce qui définit la force, c'est la capacité à vaincre toutes les résistances et à s'imposer, alors une force « spiritualisée » reste essentiellement -aujourd'hui comme hier -un moyen de domination : « violence et insolence des puissants à l'égard de ceux qui leur sont soumis ; le développement de l'intelligence et le progrès en « humanité » tendent à spiritualiser de plus en plus cette violence et cette insolence. Mais comment la puissance renoncerait-elle à jouir d'elle-même ! La relation la plus élevée, c'est encore celle du créateur et de la matière qu'il travaille ; c'est la forme dernière de l'insolence et de la violence »(note 7). Retenons donc qu'une force « spiritualisée » ne désigne nullement une force qui retiendrait sa force pour devenir plus « juste , « meilleure » moralement. !


Au contraire, ce qui intéresse Nietzsche dans le système des vieilles castes aristocratiques, c'est l'identité qu'elles établissaient -comme allant de soi- entre le fait d'être les plus forts et le fait de s'estimer aussi les « meilleurs ». L'équivalence entre le « fort » et le « bon », entre « le faible » et le « mauvais », cette équivalent morale a de quoi choquer nos vertueuses habitudes de penser, nous qui dissocions spontanément la Justice et la Force (note 8). On peut être un homme fort, et en même temps un mauvais homme. En matière morale, pensons-nous, la force ne fait rien à l'affaire : « Dans le concept « mal » on fait entrer tout ce qui est puissant et dangereux, tout ce qui possède un caractère redoutable, subtil et puissant, et n'éveille aucune idée de mépris. D'après [notre morale], l' « homme méchant » inspire donc la crainte ; d'après la morale des maîtres [l'ancien système de valeurs des castes aristocratiques], c'est « l'homme bon » qui inspire la crainte et veut l'inspirer, tandis que l' « homme mauvais » est l'homme méprisable (note 9) ». Cet écart considérable (rien de moins qu'une inversion des valeurs!) appelle une explication. En général, cette explication consiste à condamner l'ancienne morale aristocratique comme étant arriérée (« L'abus n'a aucun droit ! »), au profit de notre système actuel de valeurs, que nous estimons beaucoup plus appréciable.


Mais ce n'est pas la voie que choisit Nietzsche : sa grande originalité, ce qui le rend parfois dérangeant, c'est sa façon d'aller beaucoup plus loin que tous ses prédécesseurs dans l'interrogation au sujet de la morale. Jusqu'à Nietzsche, faire de la « philosophie morale » consistait pour l'essentiel à chercher les moyens de fonder intellectuellement et donc de justifier théoriquement une morale qui -pour l'ensemble -n'était pas remise en cause. Autrement dit, la philosophie morale -depuis Platon -ne cherchait pas le moins du monde à inventer de nouvelles normes morales, elle se contentait de « fonder » des valeurs morales qui étaient déjà largement établies : « Si étonnant que cela puisse sembler, dans la « science de la morale » tout entière a manqué jusqu'à présent le problème de la morale elle-même, le soupçon qu'il pût y avoir là quelque chose de problématique. Ce que les philosophes appelaient « fondement de la morale » et ce qu'ils exigeaient d'eux-mêmes n'apparaissait, sous son jour véritable, que comme une forme savante de la bonne foi en la morale dominante, un nouveau moyen d'exprimer cette morale, par conséquent un état de faits dans les limites d'une moralité déterminée, ou même, en dernière instance, une sorte de négation que cette morale pût être envisagée comme problème (note 10) ». Peut-on vraiment se dire philosophe, cependant, si l'on se retient ainsi pudiquement de poser la question de la valeur réelle de nos valeurs morales ? Si l'on se garde prudemment de questionner ces valeurs, en évitant de nous demander ce que valent la « bonté » et cette « loi morale » à laquelle nous avons tous le sentiment de devoir obéir ? En l'occurrence : au nom de quoi cette « loi morale » peut-elle prétendre condamner légitimement le désir de domination, exprimé sans pudeur par Calliclès ?


Posons donc la question : quel sens y aurait-il exactement à condamner comme « immoral » ce désir de domination ? Au nom de quoi, surtout, pourrions-nous le faire ? Car condamner ce désir, ne serait-ce pas comdamner la vie elle-même ? « La vie (…) est spécifiquement la volonté d'accumuler de la force ; tous les faits vitaux ont ce même levier ; rien ne veut se conserver, tout doit être totalisé et accumulé. La vie (tend) à la sensation d'un maximum de puissance ; elle est essentiellement l'effort vers plus de puissance ; sa réalité profonde, la plus intime, c'est ce vouloir ?11 ». Comment nier, en effet, que la vie soit autre chose qu'un perpétuel désir de croître, de se multiplier, d'aller toujours plus loin dans le déploiement de sa propre puissance ? En tant qu'il est un être vivant, un animal au même titre que les autres, l'homme ne fait pas exception à cette règle universelle. D'où pourrait-il trouver, lui qui est un être vivant, un critère moral au nom de quoi condamner la vie ? « Des jugements, des jugements de valeur sur la vie, pour on contre la vie, ne peuvent en fin de compte jamais être vrais : ils ne valent que comme symptômes, car en soi, de tels jugements ne sont que sottises. Il faut se donner la peine de toucher du doigt, essayer de saisir cette surprenante finesse : la valeur de la vie ne saurait être évaluée. Pas par un vivant, car il est partie, et même objet du litige, et non juge ; pas davantage par un mort, pour une tout autre raison  (note12)».


Autrement dit : pas plus qu'on n'échappe à la vie, pas plus on ne peut échapper -quoi qu'on en dise- au désir d'accroître sa puissance. Même pour celui qui se targue d'être éloigné de toute volonté de domination, même pour celui qui se vante d'avoir d'autres « valeurs » que celle-là, l'instinct de domination reste à l'œuvre Car qu'est-ce qu'une « valeur », en définitive, sinon la valorisation de certaines choses et la dévalorisation d'autres choses ? Et qu'est-ce qui nous permet de valoriser certaines choses et d'en dévaloriser d'autres, sinon la puissance même de nos appétits ? Qu'est-ce qui donne à la proie tant de valeur, sinon la passion du chasseur ? Qu'est-ce qui donne à l'être aimé tant de valeur, sinon le regard adulateur de l'amoureux ? Qu'est-ce qui donne tant de valeur à la Patrie, sinon la ferveur du patriote ? Et qu'est-ce qui donne sa valeur à la Justice, sinon la résolution de ceux qui sont prêts à la défendre coûte que coûte avec toute leur énergie ? Partout, la valeur d'une chose se mesure donc à tout ce que nous sommes prêts à donner pour elle : «  nos jugements de valeurs correspondent à nos instincts (…) et nos instincts sont réductibles à la volonté de puissance (note13) ». Sous la plume de Nietzsche, cette formule (volonté de puissance) prend deux sens intimement liés : d'abord « volonté de puissance » désigne la puissance même de la volonté, qui s'affirme dans le vouloir. Le désir, dans son existence même , n'est rien d'autre que l'affirmation généreuse de cette puissance se déployant sous la forme d'un vouloir impérieux (note14). Mais cela signifie aussi, réciproquement, que à travers tout ce qu'il désire, le désir ne vise jamais rien d'autre qu'à affirmer et affermir cette puissance. L'objet qu'il convoite n'est donc qu'un moyen d'augmenter encore la vitalité qui le porte : la puissance n'est plus alors la propriété du désir, c'est également sa fin, son objet


Ce qui importe le plus par conséquent, pour juger de la valeur d'un désir, c'est de jauger son rapport à la « volonté de puissance ». Et comme la « volonté de puissance » désigne à la fois une propriété du désir et la finalité même du désir, ce rapport peut être déficient de deux manières : notre désir peut, d'une part, manquer de puissance, être un désir faible, un désir de faible.... ou il peut, d'autre part, manquer son objet véritable et mettre toute son énergie à nier la vie. Dans le premier cas, le désir prend la forme du ressentiment ; dans le deuxième cas, il prend la forme du « nihilisme ». Dans la suite de ce cours, nous traiterons essentiellement du premier cas, en laissant le deuxième cas de côté.


IV) Le ressentiment


Si le désir exprime l'intensité et la puissance de notre vitalité, il peut également en exprimer tout à l'inverse l'impuissance et la débilité. Juger du désir à l'aune physiologique de l'état de santé qu'il manifeste permet donc de se rendre compte qu'il existe une différence fondamentale entre deux types de désirs : les « désirs actifs » et les « désirs réactifs ». Cette différence ne porte pas sur ce qui est désiré, mais bien d'abord avant tout sur notre manière de désirer. La manière normale, la manière saine de désirer est évidemment celle du « désir actif ». Et pour cause : si le désir est ce qui nous meut, il est d'autant plus conforme à sa définition qu'il nous met en capacité d'agir réellement. L'irrésolution est donc, de ce point de vue, la manifestation d'un désir faible, d'un demi-désir (note15). Toutefois, il ne s'agit pas encore, dans le cas précis de l'irrésolution, d'un désir « réactif ». L'impuissance de l'irrésolu est une impuissance à désirer : il ne parvient pas à désirer vraiment. Son impuissance se donne donc à voir dans son absence relative de désir. Au contraire, l'impuissance de l'homme réactif se donne à voir dans sa façon de désirer. Il désire bel et bien, mais son désir est celui d'un impuissant.


Qu'est-ce à dire ? Ceci que l'homme réactif n'a pas assez d'énergie pour imposer la loi de son propre désir aux choses extérieures. Faute de pouvoir faire cela, il reçoit plutôt la loi de son désir de toutes ces choses extérieures qui agissent sur lui comme autant stimuli auxquels il ne peut s'empêcher de réagir. Il n'agit donc pas, mais se contente seulement de « réagir » aux sollicitations de son environnement, comme un consommateur réagit aux appels de la publicité. Il n'a jamais vraiment l'initiative de son propre désir, ce désir n'exprime jamais chez lui la force d'une vitalité intérieure. C'est un désir épidermique : « Toute attitude antispirituelle, toute vulgarité vient de l'incapacité de résister à une sollicitation : on est contraint de réagir, on obéit à chaque impulsion. Dans bien des cas, une telle contrainte est déjà un signe de maladie, de décadence, un symptôme d'épuisement. Presque tout ce que la grossièreté non philosophique définit par le mot « vice » n'est que cette impuissance physiologique à ne pas réagir. (…) Être ouvert à tous vents, se prosterner obséquieusement devant chaque petit fait, cet empressement à se jeter sur les autres -et sur tout ce qui est autre, - (…) relève du plus mauvais goût, c'est par excellence le contraire de la distinction » (note 16). Formulons encore cela d'une autre manière : là où le désir actif est une force centrifuge, le désir réactif dessine quant à lui un mouvement centripète.


Non seulement le désir de l'homme réactif est suscité de l'extérieur, mais plus encore : pour parvenir à se satisfaire, il dépend étroitement de ces conditions extérieures. Il n'a pas, en lui-même, l'énergie suffisante pour obtenir ce qu'il convoite. Il n'est donc pas étonnant qu'il rende le monde extérieur responsable de sa propre impuissance, dès qu'un obstacle vient lui barrer le chemin. Le même consommateur dont le désir est entièrement commandé par les produits qu'il voit en vitrine est celui même qui sera porté à rendre responsable de sa frustration les inégalités sociales. Attitude classique : aux grands frustrés de la vie, la société sert de déversoir idéal. Elle est tenue responsable de tous les maux et de tous les échecs. Il serait assez intéressant de se demander quelle dose de frustration rentre exactement en ligne de compte dans la manière dont quelques individus se découvrent soudainement une vertueuse conscience politique.... L'homme réactif est donc aussi un homme « du ressentiment ». Son extrême dépendance aux conditions extérieures, l'oblige à vouloir se venger de tout ce qui lui fait barrage : « Tandis que toute morale aristocratique naît d'une triomphale affirmation d'elle-même, la morale des esclaves oppose dès l'abord un « non » à ce qui ne fait pas partie d'elle-même, à ce qui est « différent » d'elle, à ce qui est son « non-moi » : et ce non est son acte créateur. Ce renversement du coup d'œil appréciateur -ce point de vue nécessairement inspiré du monde extérieur au lieu de reposer sur soi-même -appartient en propre au ressentiment : la morale des esclaves a toujours et avant tout besoin, pour prendre naissance, d'un monde opposé et extérieur : il lui faut, pour parler physiologiquement, des stimulants extérieurs pour agir ; son action est foncièrement une réaction  (note 17)». Ici encore, on perçoit très bien l'opposition d'un mécanisme centrifuge et d'un mécanisme centripète. Chez l'homme actif, il s'agit de s'affirmer soi-même d'abord ; et en s'affirmant, inévitablement, de nier ce qui s'oppose à notre désir. Chez l'homme réactif, au contraire, le « non est l'acte créateur » : c'est la négation de ce qui s'oppose à nous qui devient la façon de s'affirmer soi-même. L'homme du ressentiment se pose en s'opposant.


C'est le même constat que fait G.K. Chesterton, fin observateur de la société moderne. En elle, ce que perçoit le grand écrivain catholique est la fascination morbide pour tout ce qui ne va pas : « C'est un temple où les lumières sont basses, les fidèles s'y agenouillent, les cantiques solennels s'élèvent, mais sur l'autel devant lequel tous les hommes se prosternent, ce n'est plus la chair parfaite qui est exposée, le corps et la substance de l'être parfait : c'est toujours de la chair, mais elle est malade. C'est le foie d'ivrogne du nouveau testament qui se décompose pour nous, et que nous recevons en souvenir du Christ ». Cette puissance que le négatif exerce sur nous n'est pas seulement visible dans cette manie moderne de la critique ; elle est aussi manifeste dans notre façon même de prétendre combattre tout ce qui ne va pas : « Un jeune homme peut se défendre du vice en pensant sans cesse à la maladie. Il peut aussi s'en défendre en pensant sans cesse à la Sainte Vierge. On peut se demander quelle est la méthode la plus raisonnable, ou même la plus efficace, mais il est inutile de se demander quelle est la plus saine  (note 18)». Toute discutable que la croyance en la Sainte Vierge puisse sembler, elle présente au moins un idéal positif de sainteté qui fait apparaître, par contraste, la présence du péché. A l'inverse, penser le péché comme fait primitif, et à partir de lui concevoir la sainteté comme un remède, c'est rendre la vertu aussi désirable qu'un laxatif. Dans l'un de ses aphorismes, Nietzsche écrivait, à propos du réalisme de Zola : « Zola. Ou le plaisir de puer ». Cette opinion lapidaire, Chesterton la partage  : « Il est absolument certain que des écrivains réalistes comme Zola préconisent en un sens la morale. Ils la préconisent à la manière du bourreau (note19) »


Cette trajectoire inverse du désir permet donc aussi de saisir la logique de ces valeurs morales que Calliclès nommait la « morale des esclaves », par opposition à la « morale des maîtres ». Nietzsche reprend exactement les mêmes termes et, tout comme Calliclès, souligne l'indiscutable supériorité morale de la seconde. C'est qu'en effet, les valeurs aristocratiques de « bon » et « mauvais » ne se superposent pas du tout aux valeurs admises de « bien » et de « mal ». Dans l'opposition du « bon » et du « mauvais », il faut voir l'opposition du fort et du faible. Le concept primitif, ce qui est donné en premier dans ce système de valeur, c'est le concept « bon » : l'appréciation de la valeur des maîtres « agit et croît spontanément, elle ne cherche son antipode que pour s'affirmer soi-même avec encore plus de joie et de reconnaissance -son concept « bas », « commun », « mauvais » n'est qu'un pâle contraste né tardivement en comparaison de son concept fondamental, tout imprégné de vie et de passion, ce concept qui affirme « nous les aristocrates, nous les bons, les beaux, les heureux ! (note 20)». Concept secondaire, le « mauvais » n'est là que pour faire valoir la supériorité reconnue du « bon ». L'homme « mauvais », le « bas », le « commun » n'est pas haïssable, il n'est que méprisable : « Il y a dans le mépris trop de négligence et d'insouciance, trop de joie intime et personnelle pour que l'objet du mépris se transforme en une véritable caricature, en un monstre. Qu'on ne perde pas de vue les nuances presque bienveillantes dont l'aristocratie grecque, par exemple, pare tous les mots qui lui servent à établir la distinction entre elle et le bas peuple : il s'y mêle constamment le miel d'une sorte de pitié, d'égard, d'indulgence, au point que presque tous les mots qui désignent l'homme du commun ont fini par devenir synonymes de « malheureux », « digne de pitié » (…) Il faut songer d'autre part que les termes « mauvais », « bas », « malheureux » produisaient toujours sur l'oreille grecque une tonalité où dominait la nuance « malheureux » »


Dans le système moral de l'âme noble, il n'y a pas non plus de place pour la haine des « ennemis ». Si l'ennemi désigne celui qui, par sa force même, fait barrage à notre désir, il est aussi celui qui par la même occasion nous met au défi d'aller plus loin et plus haut dans ce que nous pouvons exiger de nous (note 21). A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. D'où le respect sincère et l'admiration que toute caste aristocratique témoigne à des adversaires valeureux : « Quel respect de son ennemi a l'homme supérieur ! -et un tel respect est déjà la voie toute tracée vers l'amour... Sinon comment ferait-il pour avoir son ennemi à lui, un ennemi qui lui est propre comme une distinction, car il ne peut supporter qu'un ennemi chez qui il n'y ait rien à mépriser et beaucoup à vénérer ! Par contre, si l'on se représente « l'ennemi » tel que le conçoit l'homme du ressentiment, -on constatera que c'est là son exploit, sa création propre : il a connu « l'ennemi méchant », le « malin » en tant que concept fondamental (note 22) »


L'homme du ressentiment, lui, voit dans son ennemi un « méchant ». Non plus un être estimable par les énergiques ressources qu'il met à vous vaincre. Ni même un être méprisable qu'on peut se permettre d'ignorer complètement. Mais un être haïssable. C'est cette figure-là, la figure du « Mal », qui représente le concept premier de la « morale des esclaves ». A l'inverse, le « bon », lui, n'est plus défini que négativement, comme celui "qui ne fait aucun mal". Cette focalisation primitive sur la figure du mal témoigne parfaitement de la trajectoire du désir dans l'homme du ressentiment. L'amour n'est chez lui qu'une émotion dérivée, qui vient après la haine : « Ces deux termes, ce « mauvais » d'origine aristocratique et ce « méchant » distillé dans l'alambic du la haine insatiable -le premier une création postérieure, un accessoire, une nuance complémentaire, le second, au contraire, l'idée originale, le commencement, l'acte par excellence dans la conception d'une morale des esclaves -quel contraste n'offrent-ils pas, ces deux termes « mauvais » et « méchant », tous deux opposés en apparence au concept unique : « bon » ! (note 23) »


Bien évidemment, vous aurez compris que cette opposition entre l'homme actif et l'homme réactif est un simple « idéal-type ». Elle désigne des modèles théoriques plutôt que des hommes concrets. Historiquement, ceux qui se désignaient comme les « maîtres » n'étaient pas toujours, loin s'en faut, à la hauteur de leur idéal. Plus sûrement qu'à leur tour, les vieilles aristocraties ont perdu leur noblesse avant de perdre tous leurs privilèges.



V) Un certain « désir d'éternité » (Ferdinand Alquié)


L'homme du ressentiment est une figure de la haine... mais pas seulement. Nietzsche, dans le passage que je viens de citer, précise : « la haine insatiable ». Ce caractère insatiable mérite également une petite explication. Pourquoi cette haine est-elle si tenace ? Parce que l'un des aspects notables du manque de vitalité, c'est justement l'incapacité d'oublier. On considère souvent la faculté d'oubli comme une faiblesse, en l'occurrence la faiblesse de notre mémoire. Mais on ne voit pas, remarque Nietzsche, que savoir oublier est aussi un signe de bonne santé : « Faire silence un peu, faire table rase dans notre conscience pour qu'il y ait de nouveau de la place pour les choses nouvelles, et en particulier pour les fonctions et les fonctionnaires plus nobles, pour gouverner, pour prévoir, pour pressentir (car notre organisme est une véritable oligarchie) -voilà, je le répète, le rôle de la faculté active d'oubli, une sorte de gardienne, de surveillance chargée de maintenir l'ordre psychique, la tranquillité, l'étiquette. On en conclura immédiatement que nul bonheur, nulle sérénité, nulle espérance, nulle fierté, nulle jouissance de l'instant présent ne pourraient exister sans faculté d'oubli. L'homme chez qui cet appareil d'amortissement est endommagé et ne peut plus fonctionner est semblable à un dyspeptique (et non seulement semblable) -il n'arrive plus à « en finir » de rien (note 24)».  L'oubli aussi, par conséquent, peut être un phénomène « actif », manifestation d'une grande vitalité ! Ainsi s'explique le fait que certaines personnes ne gardent pas la mémoire des offenses. Elles ont trop de noblesse pour consentir à s'attarder longtemps sur le passé. Leur vitalité se manifeste dans cette capacité à ne plus traîner leur passé comme un boulet, pour se rendre entièrement disponibles à ce que requiert la situation présente. A l'inverse chez l'homme réactif, cette faculté « active » d'oubli est atrophiée. Comme il est captif des conditions extérieures, il est aussi captif d'un passé dont il n'arrive pas à se délivrer. « Il n'arrive plus à « en finir » de rien ». On reconnaît dans cette description le mécanisme du névrosé, véritable esclave de la mémoire, impuissant à « en finir » une bonne fois avec une enfance qui revient constamment le hanter (note 25).


Cette thèse de Nietzsche, sur l'attitude différente envers le temps de l'homme « actif » et de l'homme « réactif » m'offre l'occasion d'une courte digression, consacrée à un ouvrage de Ferdinand Alquié publié en 1943 : Le Désir d'éternité. Ce petit livre remarquable permet d'illustrer la pertinence qu'il y a à distinguer les désirs moins d'après leurs objets respectifs que d'après leur qualité « active » ou « réactive ». Car ce dont il est question dans ce livre, c'est bien de notre rapport au temps. Plus précisément, Alquié montre comment le même désir – le désir d'éternité -peut tout aussi bien être analysé comme un désir « réactif » que comme un « désir actif ». Et qu'est-ce qui fait donc du désir d'éternité un désir réactif ? Pas autre chose, justement, qu'une incapacité à échapper à l'emprise du passé. Par là, le désir d'éternité n'est rien d'autre alors qu'une volonté de nier le changement et le temps qui passe, une volonté dérisoire d'immobiliser le temps sur une séquence immobile : « Ô temps, suspends ton vol, et vous heures propices ! Suspendez votre cours », implorait Lamartine pour conjurer la mort de l'être aimé. Ce à quoi un esprit facétieux pouvait demander, en guise de réfutation : « combien de temps le temps doit-il suspendre son vol ? ». Envisagé sous cet angle, le désir d'éternité traduit simplement notre incapacité à laisser « les morts enterrer les morts » pour nous rendre disponibles à l'avenir.


L'explication principale de ce désir réactif est l'angoisse que suscite l'avenir. Comparé au passé, qui est accompli, donc rassurant, l'avenir est toujours pour nous une source d'inquiétude : « Il est impossible de se pencher dans le futur avec vérité, ou du moins avec certitude, puisque le futur ne dépend jamais tout à fait de nous : il ne peut devenir ce que nous avons pensé qu'il sera sans le concours de hasards heureux. (…) Aussi l'homme ne peut-il organiser son bonheur qu'au sein de l'inquiétude. (…) Le futur ne nous offre-t-il donc aucune certitude ? Si l'homme, avide d'en découvrir une, recherche ce qu'il lui promet assurément, il trouve en lui la connaissance de la mort : le futur contient notre fin, chaque minute du temps nous conduit vers elle. (…) L'anxiété que nous cause l'avenir trouve en ceci une nouvelle raison d'être : elle n'est plus celle de l'incertitude, mais celle du néant. (…) Nous ne pouvons penser le futur sans penser à notre fin : aussi toute pensée du futur est-elle angoisse, et toute angoisse est-elle, par essence, tournée vers le futur. (...) La pensée du passé, au contraire, est sereine et apaisante. Le passé a été donné, nous le connaissons, il est pour nous image stable et objet de science certaine. (..) Alors que le futur contient notre mort, le passé contient notre être. Là est tout ce que nous avons été, toute l'histoire de notre vie, tout ce qui donne un contenu à ce que nous pensons lorsque nous disons moi. Aussi toute image du passé est-elle émouvante et belle (note 26


Dans ces conditions, il est inévitable que notre désir -au lieu de se projeter dans les possibilités neuves que lui ouvre l'instant présent -trouve davantage de confort à répéter mécaniquement ce que les psychologues appellent un « schéma » (pattern). Tel est, par exemple, la nature du désir amoureux chez Proust : le désir amoureux qu'il éprouve pour Albertine n'est que la répétition du désir amoureux qu'il éprouvait pour sa mère : « Qui m'eût dit à Combray, quand j'attendais le bonsoir de ma mère avec tant de tristesse, que ces anxiétés guériraient, puis renaîtraient un jour, non pour ma mère, mais pour une jeune fille qui ne serait d'abord, sur l'horizon de la mer, qu'une fleur que mes yeux seraient chaque jour sollicités de venir regarder (note 27) ». Plus tard encore, le narrateur de la Recherche du temps perdu, tombe amoureux d'une nouvelle jeune femme. Comme si son désir avait toujours un temps de retard, il semble rejouer la même scène amoureuse qu'avec Albertine : « La ressemblance avec Albertine, de la femme que j'avais choisie, la ressemblance même, si j'arrivais à l'obtenir, de sa tendresse avec celle d'Albertine, ne me faisaient que mieux sentir l'absence de ce que j'avais sans le savoir cherché, de ce qui était indispensable pour que renaquit mon bonheur, c'est-à-dire Albertine elle-même, le temps que nous avions vécu ensemble, le passé à la recherche duquel j'étais sans le savoir (note 28) »


Cette façon obstinée de rejouer la scène du passé n'est-elle pas, en fin de compte, ce qui permet d'expliquer la forme régressive que prend le désir érotique dans le mythe d'Aristophane, raconté dans le Banquet ? Comparé à la vision de Diotime, qui voit dans le désir d'éternité un désir d'engendrer dans la Beauté, donc un désir « eschatologique » (tourné vers l'avenir), l'Eros d'Aristophane est quant à lui la nostalgie d'une unité perdue, d'un passé irrévocablement dépassé. Mais ce cas là n'est-il pas le plus fréquent ? Pour la plupart d'entre nous, le désir d'éternité est-il autre chose que la volonté desespérée de remonter le temps vers un état de complétude qui précéderait le premier instant de notre vie ? « En venant au monde, nous avons expérimenté le temps comme le passage d'une satisfaction à une souffrance, et cette expérience nous a déjà accoutumés à craindre l'avenir. (…) Nous avons senti l'air déchirer nos poumons, le froid glacer notre peau, la douleur nous étreindre ; comment nier que, sous cet aspect affectif, le souvenir de notre naissance ne puisse être la base permanente de nos angoisses, la source de notre recul devant l'avenir ? Et, d'un tel souvenir, nous ne saurions nous délivrer, puisqu'il ne peut être reconnu comme tel par la mémoire qui juge : émanant d'une époque où nous ne savions penser ni percevoir, coïncidant même avec notre propre entrée dans le temps, le souvenir de notre naissance ne saurait être par nous replacé dans le temps. Aussi nous hante-t-il de son apparente éternité. (…) . Aussi la conscience humaine traduit-elle d'abord la naissance en langage de théologie : la séparation d'avec le paradis lui apparaît comme contingente, historique, et donc comme le fruit d'un décret arbitraire, d'une malédiction accidentelle ayant uni la souffrance à l'enfantement (note  29)» 


Indiscutablement, cette nature « réactive » du désir d'éternité se traduit par une complète inaptitude à l'action. Est-ce à dire, pour autant, qu'il nous faudrait renoncer au désir d'éternité ? Nullement, en tout cas, ce n'est pas la conséquence que tire Alquié. Opposé à ce désir « réactif » d'éternité, nous pouvons faire valoir un désir « actif » d'éternité (note 30). Ce dernier, loin de nous rendre incapable d'agir parce qu'incapable d' « en finir » avec quoi que ce soit, est au contraire indispensable à l'action : « La plus petite de nos actions demande que nous posions une fin capable de dominer et d'orienter la durée où elle se réalisera, la moindre de nos pensées suppose que nous concevions une permanence dominant le changement pur du devenir. Il y a bien là, encore, refus du temps, et de la particularité concrète de ses instants. Mais ce refus n'apparaît pas comme une négation affective et passionnelle, émanant d'un être tout entier soumis au devenir, et ne pouvant donc lui opposer qu'une révolte vaine. Il semble traduire en nous les exigences de l'esprit qui, supérieur au temps, a le pouvoir de le penser  (…) Si l'on songe que cette multiplicité successive est l'essence du changement, et si l'on se souvient que notre affectivité tend à nier que quelque chose change, il faudra reconnaître que la démarche première par laquelle se constitue notre connaissance n'est pas sans analogie avec celle qui engendre nos passions. Comme l'être individuel que nous sommes, l'esprit ne s'affirme d'abord que par la négation et le refus du donné temporel qui s'impose à lui. Le refus du temps est ainsi non seulement la source de nos erreurs affectives, mais la condition même de toute pensée. (note 31)». Loin d'être condamné à être une simple refus affectif, symptôme d'une vie recroquevillée, le désir d'éternité peut donc aussi traduire la folle vitalité d'un esprit capable de saisir, sous le devenir des choses, un principe de constance immuable.



1Augustin, commentaire de la première épitre de Saint Jean

2Nietzsche, Par delà le bien et le mal, § 188

3Hegel dira quelque chose d'assez similaire dans La raison dans l'histoire : « Rien de grand dans le monde ne s'est accompli sans passion »

4Ou encore : « Les meilleurs et les plus forts d'entre nous, pris en main dès l'enfance, sont, tels des lions, réduits en servitude par nos incantations et nos sortilèges, apprenant de nous que le devoir est l'égalité, que c'est cela qui est beau et qui est juste ! Mais, que vienne à paraître, j'imagine, un homme ayant le nature qu'il faut, voilà par lui tout cela secoué, mis en pièces ; il s'échappe, il foule aux pieds nos formules, nos sorcelleries, nos incantations et ces lois qui, toutes sans exception, son contraires à la nature ; notre esclave s'est insurgé et s'est révélé maître ».

5Fragment posthume, 1881-1882 ; voir encore : « Tout vivant déploie sa force aussi loin qu'il le peut et se soumet le vivant plus faible ; il jouit ainsi de lui-même. L' « humanisation » graduelle de cette tendance consiste à ressentir avec une finesse croissante la difficulté qu'il y a à absorber en soi autrui, à s'apercevoir qu'en le lésant brutalement, nous démontrons que nous sommes plus forts que lui, mais que nous nous aliénons de plus en plus sa volonté -nous le rendons moins docile » Fragment posthume, 1888

6 «  En politique aussi, l'inimité est maintenant devenue plus « intellectuelle » (…) Presque chaque parti comprend qu'il est de son propre intérêt, s'il veut survivre, que le parti adverse ne s'affaiblisse pas trop. Cela vaut aussi pour la « grande » politique des Etats. (…) Nous n'agissons pas autrement envers notre « ennemi de l'intérieur » : là aussi nous avons spiritualisé l'inimitié, là aussi nous avons comprissa valeur. On n'est fécond qu'à ce prix » Le crépuscule des idoles

7Fragment posthume, 1883

8Par exemple, chez Pascal : « Ne pouvant faire que la justice fût forte, les hommes ont fait en sorte que la force soit juste »

9Par delà le Bien et le Mal, IX, §260

10Par delà le Bien et le Mal, §186 ; voir aussi §211 : « Tous les ouvriers philosophiques, façonnés sur le noble modèle de Kant et de Hegel, ont à fixer et à réduire en formules un vaste état de valeurs -c'est-à-dire de valeurs établies, créées anciennement, qui sont devenues prédominantes et, pendant un certain temps, ont été nommées « vérités » -valeurs dans le domaine logique, politique (moral) ou artistique »

11Fragment posthume, 1888

12Le crépuscule des idoles ; voir encore : « Une condamnation de la vie édictée par un être vivant n'est en fin de compte que le symptôme d'un certain type de vie : la question de savoir si cette condamnation est justifiée ou non ne se pose même pas. Il faudrait être placé hors de la vie, et, par ailleurs, la connaître aussi bien que quiconque, que beaucoup, que tous ceux qui l'ont vécue, pour avoir seulement le droit d'aborder le problème de la valeur de la vie : autant de raisons qui prouvent que le problème n'est pas à notre portée. Quand nous parlons de valeurs, nous parlons sous l'inspiration, dans l'optique même de la vie : c'est la vie qui nous force àposer des valeurs, c'est la vie qui « valorise » à travers nous chaque fois que nous posons des valeurs... » Crépuscule des Idoles

13Fragment posthume, 1885

14« La volonté de puissance » n'a donc rien à voir avec le désir spinoziste de « persévérer dans son être » ou la « lutte pour la survie » de Darwin : « Anti-Darwin. Pour ce qui est de la fameuse « lutte pour la vie », elle me semble jusqu'à présent plus souvent proclamée que prouvée. Elle peut avoir lieu, mais c'est l'exception : le caractère le plus général de la vie, ce n'est nullement la pénurie, la famine, c'est plutôt la richesse, l'opulence et même l'absurde gaspillage -là où lutte il y a, c'est une lutte pour le pouvoir... » Le crépuscule des idoles, « considérations d'un inactuel »

15C'est de cette manière que Saint Augustin expliquait son propre manque de résolution dans les Confessions :  « Qui voulait ? Moi. Qui ne voulait pas ? Moi. L'un et l'autre était moi, demi voulant, à demi ne voulant pas. »

16Le crépuscule des idoles, « ce qui manque aux allemands »

17Géanologie de la morale, première dissertation, §10

18G.K. Chesterton, Hérétique, chapitre 2

19Ibid.

20Généalogie de la morale, première dissertation, §10

21 « On ne reste jeune qu'à condition que l'âme ne se mette pas au repos, ne désire pas la paix... Rien ne nous est devenu plus étranger que ce qui semblait autrefois si désirable : la « paix de l'âme », cette aspiration toute chrétienne. Il n'est rien que nous n'envions moins que la sérénité morale des bovidés et le bonheur replet de la bonne conscience... C'est renoncer à la grandeur de la vie, que renoncer à la guerre... » Crépuscule des idoles, « la morale, une anti-nature »

22Généalogie de la morale, première dissertation, §10

23Généalogie de la morale, première dissertation, §11

24Généalogie de la morale, deuxième dissertation, §1

25« Aller de l'avant en se cramponnant au passé, c'est traîner avec soi les boulets de forçat » (Henry Miller, Sexus).

26Ferdinand Alquié, Le désir d'éternité, partie I, chapitre 4

27Proust, Albertine disparue

28Alquié remarque que cette structure du désir amoureux est exactement la même que celle que l'on trouve dans le Sylvie de Nerval : : « Et c'est bien à la folie en effet que sera conduit Gérard de Nerval lorsque,renonçant à la précision des souvenirs qui rendent au passé ce qui lui appartient, il verra en Aurélie non ce qu'elle est, mais tout ce que son enfance a rêvé. Aurélie est alors non seulement Adrienne, mais Mère Céleste et mère de Nerval lui-même : « je suis, dit-elle, la même que Marie, la même que ta mère, la même aussi que sous toutes les formes tu as toujours aimée. A chacune de tes épreuves, j'ai quitté l'un des masques dont je voile mes traits, et bientôt tu me verras telle que je suis » »

29Ferdinand Alquié, Ibidem

30Remarque : les termes que j'utilise, « actif »/ « réactif », ne sont pas du tout utilisés par Alquié. Voulant montrer qu'on pouvait lire le texte d'Alquié dans une perspective nietzschéenne, c'est moi qui m'autorise à les employer ici. Mais Alquié, étant un spécialiste de la philosophie de Descartes, a plutôt écrit son ouvrage dans une perspective cartésienne !

31Ferdinand Alquié, op. Cit. Partie II, chapitre 1


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