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Peut-on cesser de se mentir à soi-même ?

  • damienclergetgurna
  • 30 janv.
  • 13 min de lecture

La mauvaise foi est une façon de résoudre la tension qui provient de la présence en nous de deux désirs contradictoires. Pour pouvoir donner satisfaction à ces deux désirs qui s'excluent, on se ment "à" soi-même en se mentant "sur" soi-même. On se fait croire, comme Madame de Merteuil dans les Liaisons dangereuses, que l'on est délivré des illusions de l'amour, on se fait croire comme madame de Volanges, que l'on est guidé par des principes exclusivement rationnels, on se fait croire comme Philippe dans Lorenzaccio que l'on est simplement prudent ou comme Lorenzo, on se fait croire à soi-même que l'on n'a plus aucune espèce d'illusion sur le monde et que l'on n'en attend rien .... Toutes ces croyances sont autant de façons de s'imaginer être celui que nous ne sommes pas, ou bien de s'imaginer n'être plus celui que nous sommes encore. Rien de plus commun... Ce qui est rare, ce qui est même extraordinaire, c'est de ne pas se mentir à soi-même.


Mais que signifierait exactement, en l'espèce, le fait de ne pas se mentir à soi-même ? A première vue, la réponse semble évidente : il s'agirait d'assumer ce désir que l'on refuse de voir. Ne pas être de mauvaise foi, faire preuve de sincérité, reviendrait donc à s'assumer tel que l'on est vraiment, au lieu de prétendre être celui que l'on est pas. La marquise de Merteuil serait sincère si elle acceptait seulement de reconnaître qu'elle a des sentiments pour Valmont; madame de Volanges arrêterait de se mentir à elle-même si elle acceptait de reconnaitre qu'elle a un cœur de mère; Alexandre arrêterait de se mentir à lui-même s'il acceptait de reconnaître qu'il n'est rien de plus que le pantin de l'empereur, le gouvernement américain renoncerait à se mentir à lui-même s'il acceptait de reconnaître que ce qui l'intéresse surtout, c'est sa réélection. Rien de plus simple...


Et pourtant, les choses sont plus compliquées que cela ! Revenons une dernière fois à l'exemple de la jeune femme, proposé par Sartre dans L'Être et le Néant. Cette jeune femme se fait croire à elle-même qu'il n'y a rien de sexuel dans la conversation qu'elle accepte d'engager avec l'homme qui l'aborde. Elle n'est pas sincère sur ses propres motifs. Elle prétend n'être pas ce qu'elle est (un corps qui éprouve du désir); ou bien elle prétend être ce qu'elle n'est pas (une âme qui réclame le respect). Fort bien. En ce cas, pour être sincère, il faudrait qu'elle se contente d'accepter son désir, qu'elle se reconnaisse dans ce désir, au lieu de tenter de le nier. De cette manière, elle serait sincère, elle serait pleinement elle-même. Mais cette prétendue sincérité ne serait-elle pas tout autant mensongère que la mauvaise foi qu'on lui reproche ? En effet, en s'identifiant à ce désir, en acceptant de reconnaître qu'elle est "désir", ne serait-elle pas conduite à se mentir une nouvelle fois en se réduisant à ce qu'elle n'est pas ? Car elle veut être libre aussi de ce désir, elle veut être considérée aussi comme une personne que l'on respecte. En refusant d'admettre qu'elle est désirante est-elle davantage de mauvaise foi que lorsque, devenue sincère, elle assume son désir sans se laisser la possibilité de le nier ? En tâchant d'être sincère ("allez, admets que tu as du désir pour moi !"), n'est-elle pas amenée à tomber dans une forme inverse de mauvaise foi, qui la pousse à nier qu'elle a toujours la possibilité de refuser ce désir et de se tenir au-dessus de lui ? "Déterminerai-je l'ensemble des motifs et des mobiles qui m'ont poussé à faire telle ou telle action ? Mais c'est déjà postuler un déterminisme causal qui constitue le flux de mes consciences comme une suite d'états physiques. Découvrirai-je en moi des "tendances", fût-ce pour me les avouer dans la honte ? Mais n'est-ce pas oublier délibérément que ces tendances se réalisent avec mon concours, qu'elles ne sont pas des forces de la nature mais que je leur prête leur efficicence par une perpétuelle décision de leur valeur ? Porterai-je un jugement sur mon caractère, sur ma nature ? N'est-ce pas me voiler, dans l'instant même, ce que je sais de reste, c'est que je juge ainsi un passé auquel mon présent échappe par définition ? La preuve en est que le même homme qui dans la sincérité, pose qu'il est ce que, en fait, il était, s'indigne contre la rancune d'autrui et tente de la désarmer en affirmant qu'il ne saurait plus être ce qu'il était".


Pour donner une allure moins spéculative à cette question, prenons un exemple d'actualité. Soit une personne, par exemple un homme, qui ressentirait un désir sexuel pour d'autres hommes. La pression sociale aurait poussé cette personne, pendant une longue partie de son existence à nier cette attirance. Pour se conformer à la norme sociale, il aurait donc été amené pendant des années à se mentir à lui-même, en gardant "in the closet", son désir. Puis la pression sociale devient moins contraignante... il peut enfin sortir du placard, s'assumer tel qu'il est et cesser de se mentir à lui-même. Il va enfin pouvoir poser son identité, se retrouvant lui-même et se présentant lui-même dans sa vérité : s'il refuse de le faire, s'il refuse de s' "outer", n'est-ce pas qu'il demeure prisonnier de sa mauvaise foi ? Aussi, par sympathie et bienveillance, son entourage l'invite-t-il à renoncer à prétendre être ce qu'il n'est pas, pour assumer enfin ce qu'il est. Encouragé par ses amis, le jeune homme saute alors le pas et ose se dire ce qu'il n'a jamais osé se dire : "Je suis gay". Fin de l'histoire. Le mensonge à soi est terminé, il est enfin devenu sincère.


Mais est-ce vraiment la fin de l'histoire ? En disant : "je suis gay", ne se ment-il pas une nouvelle fois en croyant s'assumer tel qu'il est, alors qu'il ne fait en réalité que se choisir ? A première vue, cette objection paraît absurde. Car l'orientation sexuelle n'est pas précisément quelque chose que l'on pourrait "choisir". Croire que nous pourrions choisir d'être gay ou de ne pas l'être, ce serait comme nous rendre responsable de notre orientation sexuelle. Ce qui est évidemment absurde. Il faut donc admettre que l'orientation sexuelle fait partie de ces choses que Sartre rassemble sous le mot de "situation". La "situation", c'est pour chaque individu la limite de son activité, ce qu'il trouve là présent devant lui ou en lui avant toute possibilité de choisir : l'endroit de sa naissance, son capital génétique, ses tendances, son contexte familial ou culturel... Bref, sa situation n'est pas quelque chose dont il peut décider, mais c'est ce à partir de quoi il peut décider. Par conséquent, il ne s'agit pas de dire que l'on pourrait choisir son orientation sexuelle, pas plus qu'on ne peut choisir sa couleur de peau ou qu'on ne peut choisir l'handicap dont on hérite à la naissance. Mais on peut en revanche choisir ce que l'on veut faire de cette situation. On peut l'accepter ou bien la refuser. On peut s'y soumettre ou bien tenter de la contourner. Certainement, on ne choisit pas son orientation sexuelle, mais on reste libre de s'idenfier à elle comme de refuser de s'identifier à elle. Reconnaître sincèrement que l'on a des désirs homosexuels ne revient pas forcément à dire : "je suis gay", comme si ces désirs avaient la vertu immédiate de me définir. Je peux toujours prendre mes distances par rapport à ces désirs, je peux choisir de les nier et considérer qu'ils ne sont pas essentiels dans la définition que je donne de moi-même et même refuser que les autres aient de moi cette image. Bref, je ne suis pas une chose, claquemuré dans une identité que je reçois passivement et avec laquelle je devrais seulement tacher de coïncider.


La morale de cette histoire, c'est qu'une certaine manière de concevoir la sincérité est finalement tout aussi trompeuse que la mauvaise foi à laquelle cette sincérité est supposée mettre un terme. En réalité, si être sincère, c'est se reconnaître tel qu'on est, alors la sincérité est un pieux mensonge. il serait assez naïf de supposer que, pour cesser de se faire croire que l'on est celui que l'on n'est pas, il suffirait simplement de se résoudre à être une fois pour toutes celui que l'on est. Ce n'est pas du tout de cette manière que l'on pourra échapper à l'illusion. Car cette attitude repose sur la postulation d'une essence personnelle qui serait là, posée au départ, et qu'il nous faudrait seulement tacher de connaître et de rejoindre (l'idée que "L'essence précède l'existence"). Comme si nous n'avions aucune marge de liberté pour choisir ce que nous sommes. C'est cette illusion du déterminisme qui gît au fond de la mauvaise foi de Danceny, lorsqu'il cherche à convaincre Cécile que son amour, étant involontaire, ne peut constituer un crime. Il y a là une forme d'excuse qui vise à nier sa propre liberté en s'imaginant prisonnier d'une tendance (ici l'amour) irrépressible. Et cette excuse, comme l'indique Madame de Merteuil, est une forme patente de mauvaise foi : "Il lui fait des raisonnements à perte d'haleine, pour lui prouver qu'un sentiment involontaire ne peut pas être un crime : comme s'il ne cessait pas d'être involontaire, du moment qu'on cesse de le combattre !" (LI)


Cette façon d'enfermer un individu dans une identité à laquelle il serait prié de se conformer ne vient toutefois pas de nulle part. Elle procède en réalité du fonctionnement social, qui assigne nécessairement chaque individu à un rôle déterminé. Car la société fonctionne suivant le principe de la division du travail : un tel est médecin, un tel charpentier, un tel marchand de soie, un tel garçon de café, une telle mère de famille, tel autre mari fidèle, tel autre prêtre... C'est la raison pour laquelle Sartre, pour illustrer cette pseudo-sincérité, qui consiste à coller à une identié, prend l'exemple du garçon de café. Cet exemple sert de contrepoint à l'exemple de la jeune femme qu'il a choisi au départ. Cette dernière est de mauvaise foi, parce qu'elle veut se faire croire qu'elle est ce qu'elle n'est pas. Le garçon de café, lui, est de mauvaise foi parce qu'il veut se faire croire qu'il est ce qu'il est, sans possibilité d'être autre chose : il adhère comme un automate à son rôle social : "Considérons ce garçon de café. Il a le geste vif et appuyé, un peu trop précis, un peu trop rapide, il vient vers les consommateurs d'un pas un peu trop vif, il s'incline avec un peu trop d'empressement, sa voix, ses yeux expriment un intérêt un peu trop plein de sollicitude pour la commande du client, enfin le voila qui revient, en essayant d'imiter dans la démarche la rigueur inflexible d'on ne sait quel automate, tout en portant son plateau avec une sorte de témérité de funambule, en le mettant dans un équilibre perpétuellement instable et perpétuellement rompu, qu'il rétablit perpétuellement d'un mouvement léger du bras et de la main. Toute sa conduite nous semble un jeu. Il s'applique à enchaîner ses mouvements comme s'ils étaient des mécanismes se commandant les uns les autres, sa mimique et sa voix même semblent des mécanismes; il se donne la prestesse et la rapidité impitoyable des choses. Il joue, il s'amuse. Mais à quoi donc joue-t-il ? Il ne faut pas l'observer longtemps pour s'en rendre compte : il joue à être garçon de café".


Il est tout à fait remarquable que nombre des personnages de Lorenzaccio n'aient d'autre identité que celle qui leur est assignée par leur rôle social : Le marchand de Soierie, l'orfèvre, l'écolier, l'étudiant, le bourgeois, le portier, le précepteur.... Ses rôles sont pour ainsi dire leur identité. Ils n'ont pas plus d'épaisseur que cela, réduits à être exactement ce qu'ils sont et à se comporter exactement comment le lecteur peut s'y attendre. Ainsi Musset peut-il s'offrir le luxe de peindre en une seule page la scène de confrontation entre les soldats de la forteresse et les étudiants en révolte. Car ce genre de scène est justement atemporel, comme si l'identité propre des individus n'intervenait en aucune manière dans ce triste mécanisme de la violence qui amène depuis toujours un représentant du pouvoir en place à mater dans le sang la révolte d'un représentant de la jeunesse. Les noms changent, les visages aussi, mais les rôles demeurent les mêmes, et la scène représentée par Musset s'en tient strictement à ces rôles, revêtant du même coup la puissance suggestive d'une allégorie : "Un étudiant : Puisque les grands seigneurs n'ont que des langues, ayons des bras. Holà, les boules ! les boules ! citoyens de Florence, ne laissons pas élire un duc sans voter. Un soldat : Vous n'aurez pas les boules : retirez-vous. L'étudiant : Citoyens, venez ici; on méconnaît vos droits, on insulte le peuple. Les soldats : Gare ! Retirez-vous. Un autre étudiant : Nous voulons mourir pour nos droits. Un soldat : Meurs donc. L'étudiant : Venge-moi, Ruberto, et console ma mère (V, 6)"


Tous les autres personnages de la pièce ont un nom propre, mais ce nom propre est souvent associé à leur position sociale : le "duc" alexandre, la "marquise" cibo, le "cardinal" cibo, le peintre Tebaldeo, Giomo l'ecuyer, le prieur Strozzi...Or, ce statut même commande, chez tous ces personnages, un certain rapport à soi et une certaine manière de se comporter. Témoin, Léon Strozzi, qui a visiblement beaucoup de mal à se départir de son rôle de prêtre au moment pourtant où devrait s'exprimer en lui la juste colère du frère indigné. Son incapacité à s'éloigner de cette fonction sociale, cette habitude de s'exprimer en tout avec la componction d'un prêtre est précisément ce qui agace son frère Pierre : "Pierre : Parle, Léon (...) De qui a-t-il [Salviati] médit ? De nous ? De mon père ? Ah ! sang du Christ, je ne l'aime guère, ce Salviati. Il faut que je sache cela, entends-tu ? Le prieur : Si tu y tiens, je te le dirai. Il s'est exprimé devant moi, dans une boutique, d'une manière vraiment offensante sur le compte de notre sœur. Pierre : Ô mon Dieu ! Dans quels termes ? Allons, parle-donc ! Le prieur : Dans les termes les plus grossiers. Pierre : Diable de prêtre que tu es ! tu me vois hors de moi d'impatience et tu cherches tes mots !" (II, 1).


Quand Arendt cherche à comprendre ce qui a pu amener le gouvernement américain à mentir autant et à se mentir, elle invoque de même le rôle d'individus qui sont ramenés à leur seule formation professionnelle. Loin de vouloir se distinguer de cette identité statutaire, le tort de tous ces "spécialistes en communication" ou de touts ces "spécialistes de la résolution des problèmes" a précisément été d'être incapables de se distancier de leur rôle sociaux. Ils ont, de manière assez navrante, importé leur ethos professionnel dans la gestion de la guerre au Vietnam. Au lieu d'agir comme des individus qui font usage de leur libre arbitre, ils se sont comportés en tout, d'une façon navrante et prévisible, comme leur identité sociale commandait qu'ils le fassent. Incapables de quitter pour un moment leur blouse d'experts, ils se sont naturellement retrouvés piégés, assumant jusqu'au stéréotype l'identité qui leur était assignée. Eux aussi, comme Eichmann -ce dignitaire nazi dont Arendt a suivi le procès à Jérusalem- pouvaient s'exonérer de toute responsabilité personnelle dans la faillite de la guerre du Vietnam, en soutenant qu'ils n'avaient fait que leur travail.


Par contraste, l'article de Arendt finit sur l'évocation de ceux qui ont réussi à se distancier (ne serait-ce que pour un moment) de leur identité sociale. Tel Robert McNamara, le conseiller du président en matière de défense, qui fût à l'origine du rapport du Pentagone. En prenant la décision de commander ce rapport, McNamara est pour ainsi dire sorti du rôle qui lui était assigné, en dirigeant sur son propre camp le faisceau de la critique. A ce moment, dit Arendt, McNamara a agi en humaniste, plutôt qu'en docile fonctionnaire politique : "Neil Sheehan a fort justement déclaré que cette décision prise par Robert McNamara, de chercher à découvrir les erreurs commises et leurs causes "allait se révéler comme la plus importante de celles qu'il eut à prendre au cours des sept années qu'il passa au Pentagone". Sans aucun doute elle aura ainsi préservé, au moins pour un court instant, la réputation des Etats-Unis dans le monde. Il est rès probable qu'en aucun autre pays du monde il n'aurait pu en être ainsi. Tout s'est passé comme si tous ces hommes, engagés dans une guerre injuste et à juste titre compromis par elle, s'étaient soudainement souvenus qu'ils devaient à leurs aïeux 'le respect dû à l'opinion de l'humanité". Outre McNamara, cette capacité à mettre à distance une identité sociale trouve à se manifester chez les 36 rédacteurs du rapport. Car comment, à moins de mettre de côté leur rôle actif dans la mise en œuvre des mesures politique, auraient-ils pu réussir à les juger avant tant d'honnêteté ? Mais cette distanciation a été aussi, évidemment, celle de celui qui pris sur lui de trahir ses propres devoirs de fonctionnaire pour divulguer à la presse les documents du Pentagone. Si tout lanceur d'alerte peut paraître comme un traître, c'est justement parce qu'il choisit de ne plus jouer le rôle social qui lui est imparti et sur la base duquel on lui a fait confiance en lui confiant certains secrets. Que dire enfin des directeurs de journaux (en particulier la directrice du Washington Post) qui assumèrent le risque de publier les documents classifiés du Pentagone, en refusant de s'identifier totalement au rôle qui était le leur (celui d'un patron d'entreprise responsable) ? "On notera, résume Arendt, le fait que cet effort gigantesque et systématique d'analyse interne fut entrepris à la demande d'une des principaux responsables, que l'on a pu trouver trente-six personnes pour analyser la documentation et en tirer leurs propres conclusions, certaines d'entre elles ayant elles-mêmes contribué à mettre en œuvre ou à exécuter les mesures politiques qu'on leur demandait ainsi d'apprécier, et que l'un des participants de cette entreprise, lorsqu'il fut devenu évident que personne, à l'intérieur de l'administration, ne se souciait d'utiliser ou même de prendre connaissance des résultats de ce travail, décida de s'adresser au public en livrant une partie à la presse, et qu'en fin de compte le plus respectable des journaux du pays osa prendre la décision de donner la plus large diffusion à des documents qui avaient été classés 'ultra-secret'"


Adhérer à un positionnement social au point de s'y identifier complètement constitue donc une forme particulière de mauvaise foi. Lorsque cette position sociale est élevée, ou plus généralement lorsque le rôle auquel on s'identifie jouit d'un certain privilège, nous pouvons dire que la personne de mauvaise foi est quelqu'un qui "s'y croit". L'expression est parlante : en se faisant "croire" à lui-même qu'il n'est rien d'autre que ce rôle qu'il assume, sans distance aucune, l'homme de mauvaise foi "s'y croit". Cette façon qu'il a d'adhérer sans écart à son propre rôle lui permet commodément de se dire qu'il est quelqu'un... autrement dit, "pas n'importe qui"! Parce qu'il a un titre de duc, il s'imagine inatteignable. Parce qu'il a un titre de duc, il estime avoir un droit souverain de cuissage sur toutes les femmes qui passent. L'erreur d'Alexandre, en l'occurrence, son illusion, c'est de croire qu'il est lui-même indispensable parce que son rôle est indispensable. Son prompt remplacement par un autre Médicis prouvera qu'il avait tort : Alexandre ne comptait pas, seul le titulaire du duché importait. De la même manière, beaucoup de figures de prêtres adhèrent tellement à leur rôle social qu'elles en tirent le sentiment d'une dignité morale toute particulière. Quand Lorenzo, à l'acte 1, est confronté à ses accusateurs, il ne peut s'empêcher de moquer le cardinal Cibo : "une insulte de prêtre doit se faire en latin". Manière assez efficace d'affirmer ironiquement que la dignité supposée du cardinal tient moins à sa personne qu'à sa fonction de célébrant, qui dit la messe en latin. Depuis que Prévan, dans \textit{Les liaisons dangereuses} s'est fait connaître par un coup d'éclat, il s'imagine être devenu un séducteur irrésistible. Il s'identifie à sa propre réputation, y trouvant le motif d'une confiance en soi qui le rend terriblement prévisible aux yeux de madame de Merteuil. Il joue son rôle de séducteur, déployant toutes les ficelles du séducteur, avec toute la fatuité de celui qui s'y croit vraiment, comme le fait le garçon de café décrit par Sartre :"\textit{L'arrivée, le maintien, le ton, les discours, je savais tout dès la veille}" (Lettre LXXXV).


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