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Peut-on se mentir à soi-même ? L'hypothèse de l'inconscient

  • damienclergetgurna
  • 30 janv.
  • 13 min de lecture

La question qu'on se pose est : comment est-il possible de se mentir à soi-même ? Comment puis-je croire ce que pourtant je sais, au fond, être faux ? Et nous avons vu une première manière de répondre : je peux le faire parce que la façon dont "au fond" je sais, n'a rien d'un savoir pleinement actuel. C'est au mieux un savoir qui est présent mais sans être mobilisé, au pire un savoir seulement virtuel, un savoir en puissance. Toutefois cette explication ne peut pas être pleinement satisfaisante. Car elle n'explique pas encore pour quelle raison ce savoir demeurerait seulement dans un état virtuel ou pour quelle raison il manquerait à être mobilisé. Car justement, tout le problème est là : celui qui se ment à lui-même pourrait, s'il le veut, voir la réalité en face. Il en est capable. Il lui suffirait finalement d'actualiser une connaissance qu'il a déjà en puissance. Et cependant, alors qu'il serait si facile pour lui de le faire, il échoue à le faire ! Pourquoi en est-il ainsi ? Pour expliquer cela, il faut nécessairement faire intervenir comme un élément supplémentaire, le désir qu'a l'individu de n'en pas savoir davantage. C'est là où intervient vraiment la responsabilité morale de celui qui se trompe lui-même : c'est volontairement qu'il tente de se cacher la vérité, par une opération qui vise à maintenir tout ce qu'il sait dans un état de latence, en refoulant ce savoir qui ne demande pourtant qu'à apparaitre. C'est pourquoi Arendt parle là d'une forme "d'auto-suggesstion", en utilisant un vocabulaire qui est celui de la psychanalyse.



L'hypothèse du "refoulement"


C'est à ce stade qu'intervient, à l'évidence, le mécanisme de la censure (ou du refoulement) popularisé par Freud : "J'illustrerai le processus du refoulement par une comparaison grossière. Supposez que dans la salle de conférances, dans mon auditoire calme et attentif, il se trouve pourtant une individu qui se conduire de façon à me déranger et qui me trouble par des rires inconvenants, par son bavardage ou en tapant des pieds. Je déclarerai que je ne peux continuer à professer ainsi ; sur ce, quelques auditeurs vigoureux se lèveront et, après une brève lutte, mettront le personnage à la porte. Il sera "refoulé" et je pourrai continuer ma conférence. Mais, pour que le trouble se re reproduise plus, au cas où l'expulsé essaierait de rentrer dans la salle, les personnes qui sont venues à mon aide iront adosser leurs chaises à la porte et former ainsi comme une "résistance". Si maintenant l'on transporte sur le plan psychique les événements de notre exemple, si l'on fait de la salle de conférences le conscient, et du vestibule l'inconscient, voilà une assez bonne image du refoulement".


Mais Freud ne se contente pas de supposer l'existence de ce mécanisme par lequel celui qui s'illusionne s'arrange pour ne pas voir ce qui lui déplaît. Il fait aussi une hypothèse au sujet de cette vérité déplaisante. En effet, que peut-on bien chercher à fuir, lorsque l'on cherche à fuir une vérité déplaisante ? Qu'est-ce qui rend cette vérité déplaisante au point de vouloir nous la dissimuler ? La réponse proposée par Freud est que celui qui se ment à lui-même cherche d'abord à se tromper lui-même "sur lui-même". Il cherche donc à se voiler sa propre vérité, une vérité qui porte sur son être, pour ne pas y être exposé. Se mentir à soi-même est toujours plus ou moins une façon de se protéger pour maintenir un semblant d'estime de soi. Freud, dans ses Cinq leçons sur la psychanalyse (Deuxième leçon), propose l'exemple d'un cas clinique : "Une jeune fille avait récemment perdu un père tendrement aimé, après avoir aidé à le soigner. Sa sœur aînée s'étant mariée, elle se prit d'une vive affection pour son beau-frère, affection qui passa, du reste, pour une simple intimité comme on en rencontre entre les membres d'une famille. Mais bientôt cette sœur tomba malade et mourut pendant une absence de notre jeune fille et de sa mère. Celles-ci furent rappelées en hâte, sans être entièrement instruites du douloureux événement. Lorsque la jeune fille arriva au chevet de sa sœur morte, en elle émergea, pour une seconde, une idée qui pouvait s'exprimer à peu près ainsi : maintenant il est libre et il peut m'épouser. Il est certain que cette idée qui trahissait à la conscience de la jeune fille l'amour intense qu'elle éprouvait sans le savoir pour son beau-frère, la révolta et fut immédiatement refoulée. La jeune fille tomba malade à son tour, présenta de graves symptômes hystériques, et lorsque je la pris en traitement, il apparut qu'elle avait radicalement oublié cette scène devant le lit mortuaire de sa soeur et le mouvement de haine et d'égoïsme qui s'était emparé d'elle. Elle s'en souvint au cours du traitement, reproduisit cet incident avec les signes de la plus violente émotion, et le traitement la guéri}." ... On voit bien, dans cet exemple, que le mécanisme de refoulement que met en place la jeune fille vise ici uniquement à la protéger d'une vérité qui porte non pas sur sa sœur, mais sur soi. En censurant le souvenir dérangeant, elle cherche à se faire croire à elle-même qu'elle est une bonne sœur, incapable d'un mouvement aussi mesquin.


L'hypothèse freudienne a un double mérite : d'une part, elle met clairement en évidence le fait que l'illusion n'est pas nécessairement due à une simple erreur d'appréciation, erreur qui devrait s'expliquer par un mécanisme involontaire qui pousse le sujet à se tromper malgré lui. L'illusion est toujours volontaire. Ainsi, dans la lettre CXXXI de la marquise de Merteuil au Vicomte de Valmont : "Je ne vous refuse pas le prix convenu entre nous : je sens à merveille que pour une seule soirée, nous nous suffirons de reste; et je ne doute même pas que nous ne sachions assez l'embellir pour ne la voir finir qu'à regret. Mais n'oublions pas que ce regret est nécessaire au bonheur; et quelque douce que soit notre illusion, n'allons pas croire qu'elle puisse être durable"(CXXXI). C'est la volonté de se tromper soi-même que décrit ici madame de Merteuil : dans le fond les deux partenaires sont supposés savoir qu'une relation purement érotique ne saurait durer très longtemps, sans susciter à terme une forme de lassitude et de dégoût. Mais d'un autre côté, cette vérité rendrait la relation sexuelle assez déplaisante. Il s'agit donc, du moins le temps d'une soirée, de se jouer la comédie d'une authentique relation amoureuse, en ne s'interdisant pas d'éprouver les "regrets" de la séparation, comme si exactement on était amoureux. Douce illusion...


D'autre part, l'hypothèse freudienne a aussi le grand mérite de montrer sur quoi porte avant tout l'illusion. Avant de porter sur ceci ou bien sur cela, elle porte sur soi-même, elle est une illusion "de soi et sur soi". A l'origine de l'autosuggestion du gouvernement américain, il y a d'abord cette immense duperie qui touche tous les hommes, lorsqu'ils occupent une position de pouvoir. Il est très facile alors de se tromper soi-même sur soi-même, car personne n'ose vraiment vous contredire et que l'exercice du pouvoir tend naturellement à vous éloigner de la réalité : "Si bizarre que cela paraisse, le Président des Etats-Unis est la seule personne qui soit susceptible d'être la victime idéale d'une intoxication totale. Du fait de l'immensité de sa tâche, il doit s'entourer de conseillers, qui exercent leur pouvoir simplement en filtrant les informations destinées au Président et en interprétant à son intention le monde extérieur". Plus généralement, tous les personnages de Musset et de Chaderlos de Laclos sont plus ou moins victimes de cette illusion sur soi : Philippe se fait des illusions sur sa propre capacité à agir, les républicains se font des illusions sur leur ardeur patriotique, la marquise Cibo se fait des illusions sur sa capacité à influencer Alexandre, Alexandre se fait des illusions sur sa propre capacité à tenir en laisse Lorenzo, le cardinal Cibo se fait des illusions sur sa capacité à manipuler une faible femme... Dans Les Liaisons dangereuses, c'est bien simple : tout le monde ne ment pas, mais tout le monde s'illusionne, tout le monde se fait croire qu'il est autre chose que ce qu'il est vraiment. Le vicomte de Valmont se fait croire à lui-même qu'il est un homme charmant alors qu'il est un salaud, Tourvel se fait croire à elle-même qu'elle est incapable de trébucher, Madame de Volange se fait croire à elle-même qu'elle est une mère exemplaire et vigilante, Danceny se fait croire qu'il est un homme de principe....


Et quand tous ces personnages ne succombent pas à l'illusion, ce n'est pas parce qu'ils ne se sont jamais illusionnés, mais simplement parce qu'ils sont revenus de leurs illusions. Ainsi, Lorenzo en tout premier : "Il y a plusieurs démons, Philippe. Celui qui te tente en ce moment n'est pas le moins à craindre de tous. -Que veux-tu dire ? Prends y garde, c'est un démon plus beau que Gabriel. La liberté, la patrie, le bonheur des hommes, tous ces mots résonnent à son approche comme les cordes d'une lyre; c'est le bruit des écailles d'argent de ses ailes flamboyantes. Les larmes de ses yeux fécondent la terre et il tient à la main la palme des martyrs. Ses paroles épurent l'air autour de ses lèvres; son vol est si rapide que nul ne peut dire où il va. Prends-y garde ! Une fois dans ma vie, je l'ai vu travers les cieux. J'étais courbé sur mes livres- le toucher de sa main a fait frémir mes cheveux comme une plume légère" (III, 3). L'âge, l'expérience offre parfois le privilège de moins s'illusionner. Tel Philippe, qui joue de son expérience et de son âge pour rappeller à Pierre qu'il se fait des illusions : "Vous n'avez rien d'arrêté ? pas de plan, pas de mesures prises ? Ô enfants, enfants ! jouer avec la vie et la mort " (III, 3) ?Telles encore ces vieilles femmes dont parle Merteuil dans la lettre CXIII : "Il n'est pas vrai que plus les femmes vieillissent et plus elles deviennent rêches et sévères. C'est de quarante à cinquante ans que le désespoir de voir leur figure se flétrir, la rage de se sentir obligées d'abandonner des prétentions et des plaisirs auxquels elles tiennent encore, rendent presque toutes les femmes bégueules et acariâtres. Il leur faut ce long intervalle pour faire en entier ce grand sacrifice : mais dès qu'il est consommé, toutes se partagent en deux classes. La plus nombreuse, celle des femmes qui n'ont eu pour elles que leur figure et leur jeunesse, tombe dans une imbécile apathie, et n'en sort plus que pour le jeu et pour quelques pratiques de dévotion; celle-là est toujours ennuyeuse, souvent grondeuse, quelquefois un peu tracassière, mais rarement méchante. On ne peut pas dire non plus que ces femmes soient ou ne soient pas sévères : sans idées et sans existence, elles répètent, sans le comprendre et indifféremment, tout ce qu'elles entendent dire, et restent par elles-mêmes absolument nulles. L'autre classe, beaucoup plus rare, mais véritablement précieuse, est celle des femmes qui, ayant eu un caractère et n'ayant pas négligé de nourrir leur raison, savent se créer une existence, quand celle de la nature leur manque; et prennent le parti de mettre à leur esprit, les parures qu'elles employaient avant pour leur figure. Celles-ci ont pour l'ordinaire le jugement très sain, et l'esprit à la fois solide, gai et gracieux. Elles remplacent les charmes séduisants par l'attachante bonté, et encore par l'enjouement dont le charme augmente en proportion de l'âge : c'est ainsi qu'elles parviennent en quelque sorte à se rapprocher de la jeunesse en s'en faisant aimer. Mais alors, loin d'être, comme vous le dites, rêches et sévères, l'habitude de l'indulgence, leurs longues réflexions sur la faiblesse humaine, et surtout les souvenirs de leur jeunesse, par lesquels seuls elles tiennent encore à la vie, les placerait peut-être trop près de la facilité.


L'inconscient psychique


Mais pour autant, l'hypothèse de la censure pose une difficulté. Nous avons dit que si l'illusionné ignore ce qu'il devrait savoir, ce n'est pas parce qu'il est distrait, mais parce qu'il refoule activement ce qu'il ne veut pas savoir. Mais ce que l'on s'efforce volontairement de ne pas savoir, en général, ne le sait-on pas que trop bien ? C'est là que gît l'erreur commise par la présidente de Tourvel : elle veut chasser le vicomte de son esprit et ne parvient, par cet effort volontaire, qu'à y penser sans cesse davantage. Plus elle veut ne pas y penser, en s'éloignant de lui, plus elle y pense (ce dont témoignent ses lettres à la tante du Vicomte). Il faut reconnaître que la présidente de Tourvel est une personne qui a beaucoup de volonté. Sans cette volonté de fer, jamais elle n'aurait eu le courage de fuir le Vicomte après avoir pourtant succombé à ses charmes. Quand les émotions ne suivent plus, elle trouve un ultime ressort dans une volonté à toute épreuve. Mais cette volonté est précisément ce qui, ici, la condamne à l'impuissance. Elle veut chasser Valmont de son esprit, et en faisant cela elle met toute son énergie à penser à lui. La même chose arrive d'ailleurs à Marie dans Lorenzaccio : penser à Lorenzo lui fait trop de mal, elle désire donc ne pas en parler et elle demande à Catherine de ne plus en parler : "N'en parlons pas, Catherine -il est assez cruel pour une mère de ne pouvoir parler de son fils" (I, 6)... mais cette résolution échoue immédiatement. Non pas par manque de volonté, mais parce que vouloir ne pas penser à son fils, c'est immanquablement se mettre dans la situation de penser à lui : "Je dis que je ne veux pas parler de lui, et j'en parle sans cesse" (I, 6).


De deux choses l'une, alors. Ou bien on postule que l'illusionné se ment à lui-même en s'efforçant volontairement d'oublier ce qu'il sait. Mais alors, si cette censure est consciemment opérée, on voit mal comment elle pourrait être efficace et comment on pourrait en venir à réellement s'illusionner : "la censure, pour appliquer son activité avec discernement, doit connaître ce qu'elle refoule" (Sartre). Elle doit connaître à la fois ce qu'elle ne veut pas admettre; et elle doit connaitre aussi deuxièmement qu'elle doit le refouler. Bref, la volonté d'ignorer conduit paradoxalement à un excès de savoir. Dire à quelqu'un : "n'y pense plus", c'est souvent la meilleure façon de le pousser à y penser sans cesse; y penser sans cesse dans un effort désespéré pour n'y plus penser! Ou alors, autre possibilité, on postule que l'illusionné se ment à lui-même sans le savoir, inconsciemment. Donc, il ne sait pas qu'il se ment à lui-même, il le fait de façon totalement inconsciente. C'est une hypothèse assez probable : quand Marie rêve du spectre de son fils, ne s'agit-il pas d'une manifestation de son inconscient, une hallucination éveillée dont elle ne voit pas elle-même la signification ? Et que dit cette hallucination ? "J'étais seule dans cette grande salle; ma lampe était loin de moi, sur cette table auprès de la fenêtre. Je songeais aux jours où j'étais heureuse, aux jours de ton enfance, mon Lorenzino. Je regardais cette nuit obscure, et je me disais : il ne rentrera qu'au jour, lui qui passait autrefois les nuits à travailler. Mes yeux se remplissaient de larmes, et je secouais la tête en les sentant couler. J'ai entendu tout d'un coup marcher lentement dans la galerie; je me suis retournée; un homme vêtu de noir venait à moi, un livre sous le bras -c'était toi, Renzo : "Comme tu reviens de bonne heure !" me suis-je écriée. Mais le spectre s'est assi auprès de la lampe sans me répondre; il a ouvert son livre, et j'ai reconnu mon Lorenzino d'autrefois}" (II, 4). On ne saurait exprimer sous une forme à la fois plus opaque pour elle et pour nous plus transparente, son désir et en même sa tristesse d'imaginer la mort de son propre fils.


On pourrait donc admettre que le mécanisme de l'illusion est un mécanisme parfaitement inconscient. Ce qui distingue l'illusionné du trompeur. Le trompeur sait deux choses : il sait que ce qu'il dit est faux, mais il sait aussi du même coup qu'il est en train de tromper. L'illusionné, lui, sait obscurément que ce qu'il croit est faux; mais contrairement au menteur, il ignore totalement qu'il est en train de se tromper lui-même. Il n'a pas clairement conscience de se cacher à lui-même la vérité. Premièrement, il censure cette vérité, il la refoule. Mais deuxièmement il refoule également le fait qu'il la refoule. Le secret qu'il ne veut pas voir disparaît derrière une porte opaque; mais il n'a pas conscience qu'il y a une porte derrière laquelle gît le secret.


C'est ce phénomène d'inconscience qui rend compte de deux aspects importants dans la cure psychanalytique : d'abord, le fait que la présence de la censure est d'autant moins visible que cette censure remonte loin dans le temps. Le temps a permis d'oublier le mécanisme défensif de la censure. Ensuite, ce que Freud appelle le mécanisme de "résistance" : le fait que l'illusionné refuse systématiquement d'accepter qu'il se cache quelque chose à lui-même. La marquise de Merteuil est peut-être la meilleure illustration de ce phénomène de résistance : elle revendique fièrement sa lucidité et son absence d'illusion (je ne suis pas, dit-elle, comme ces femmes qui confondent leur orgasme avec un sentiment amoureux). Et de fait, elle ne se laisse pas facilement abuser. Mais faut-il vraiment prendre au sérieux cette déclaration ? N'est-elle pas un mécanisme de résistance qui manifeste qu'elle n'est pas consciente de se cacher à elle-même certaines choses ? Pourquoi manifeste-t-elle une si franche hostilité pour la présidente de Tourvel ? Est-ce simplement parce que Tourvel incarne tout ce qu'elle déteste : la pudibonderie, le manque de sensualité, les principes moraux ? N'y a-t-il pas autre chose à l'oeuvre dans cette haine implacable ? Manifestement, elle se sent menacée par elle, et cela dès le début du roman, elle tente de la déconsidérer comme "femme" auprès de Valmont : "Qu'est-ce donc que cette femme ? des traits réguliers si vous voulez, mais nulle expression : passablement faite, mais sans grâces: toujours mise à faire rire ! avec ses paquets de fichus sur la gorge, et son corps qui remonte au menton ! Je vous le dis en amis, il ne vous faudrait pas deux femmes comme celle-là, pour vous faire perdre toute votre considération. Rappelez-vous donc ce jour où elle quêtait à Saint-Roch et où vous me remerciâtes tant de vous avoir procuré ce spectacle. Je crois la voir encore, donnant la main à ce grand échalas en cheveux longs, prête à tomber à chaque pas, ayant toujours son panier de quatre aunes sur la tête de quelqu'un et rougissant à chaque révérence" (Lettre V). Elle voit en la présidente de Tourvel une rivale à ridiculiser. Mais pourquoi ? Pourquoi craint-elle à ce point une telle rivale si celle-ci lui paraît si ridicule ? Pourquoi veut-elle absolument jeter Valmont dans les bras de la jeune Cécile, qu'elle ne voit pas comme une rivale, alors qu'elle tient absolument à éloigner Valmont de la présidente Tourvel ? Pourquoi donc ? Que se cache-t-elle à elle-même ? Plusieurs indices, disséminés dans l'ouvrage nous permettent de nous faire une petite idée : socialement, madame de Merteuil est une parvenue, elle n'a pas été acceptée à bras ouverts dans la bonne société, elle n'est pas une grande dame. Elle a dû se faire toute seule sa place dans la société : "Vous jugez bien que, comme toutes les jeunes filles je cherchais à devenir l'amour et ses plaisirs; mais n'ayant jamais été au convent, n'ayant point de bonne amie, et surveillée par une mère vigilante, je n'avais que des idées vagues et que je ne pouvais fixer" (Lettre LXXXI). Voir encore l'affaire de son procès contre les héritiers légitimes de son mari. La présidente de Tourvel n'incarne-t-elle pas cette femme qu'elle aurait pu être, elle-même (elles ont sensiblement le même âge), si elle n'avait pas été forcée de se battre et de mentir pour en arriver à sa position ?


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